chroniques littéraires

Je tue les enfants français dans les jardins

Après une très longue absence, je reviens parmi vous pour vous donner ma dernière chronique. Avant de vous présenter cette dernière, je vais juste un peu blablater sur cette pause inopinée. En fait, j’avais écris un article que j’aurai du publier il y a 15 jours, seulement, suite à un problème avec internet, et malgré ma sauvegarde sur wordpress, tout a été effacé. J’ai donc perdu intégralement l’article que j’avais prévu pour vous, et je n’ai pas eu le temps de vous le réécrire avant la date qui était prévue à sa publication. Il faut dire qu’avec mes deux emplois, la fac et mon mémoire à écrire, j’ai un peu de mal à écrire sur le blog depuis la reprise des cours. Il faut encore que je trouve mon rythme. Heureusement, les vacances arrivent, et je vais pouvoir rattraper mon retard d’article. Enfin bref, je termine ici mon blabla.

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Le livre que je vous présente cette semaine est un véritable coup de coeur qui fait froid dans le dos. Il s’agit de Je tue les enfants français dans les jardins, écrit par Marie Neuser, et publié chez Pocket pour sa version poche, et chez l’Ecailleur pour sa version brochée, en 2011. Chose étonnante, il est rangé parmi les polars puisque classé dans la catégorie « roman noir » chez Pocket, alors que je ne trouve pas que ce soit un polar à proprement parler. Je m’attendais à un côté plus thriller. Et pourtant, il y a des éléments qui justifient ce choix. En voici le résumé :

Lisa, jeune professeur d’italien, se rend chaque jour au collège comme on va à la guerre, avec, en guise d’armée ennemie, les élèves. Au fond de la classe, les garçons se disputent le rôle de commandant en chef en rivalisant d’insultes et de menaces. Du côté des filles, ce n’est guère plus apaisé : comment faire comprendre à une gamine de douze ans qu’elle ne doit pas se prostituer, même pour se payer des vêtements de marque?

Seule solution pour survivre sur ce champs de bataille où règne la loi du plus fort, se forger une carapace, en attendant son heure… l’heure de la contre attaque.

Ce livre, je l’ai choisi un peu par hasard, à cause de son titre. Je dois avouer, il correspondait tout à fait à mon envie du moment après un trajet en bus avec des adolescents sortant de cours, des garçons qui s’amusaient à se pousser contre les autres passagers et les filles qui rigolaient de leurs voix aiguës. Bref, même si j’adore les enfants, il y a des fois où je ne les supporte plus. Ce titre a donc fait écho à mon envie du moment, et je le trouvais assez amusant, comme un pied de nez aux idées bien pensantes où les enfants sont traités comme des rois. Avec ce qu’il y a dans ce livre, vous ne verrez d’ailleurs plus les enfants du même oeil.

Ce qui m’a aussi séduite, c’est son prix. C’est un roman très court, la version poche fait exactement 152 pages. De plus, les chapitres sont très courts, pas plus de 3 pages, ce qui permet une lecture très fluide, qui s’enchaîne très bien. Je l’ai dévoré en quelques heures, ( en ce moment, je lis de manière « coupée », avec 3 livres au minimum à cause des cours, et des heures pour moi très réduites, donc je l’ai commencé en attendant le petit dont je m’occupe à l’école et je l’ai terminé des jours après, alors que j’attendais les parents du petit.) D’ailleurs, c’était assez comique de sortir ce livre devant les parents à la sortie d’école. Non non, je ne suis pas une psychopathe…

Je vais revenir un peu sur le titre. Il fait référence à un fait divers qui s’est produit au jardin du Luxembourg en juillet 1909 : un homme fait feu trois fois sur une enfant de sept ans dans le jardin. Par miracle, l’enfant s’en sort idem. L’homme est arrêté et dans sa poche les officiers de l’ordre trouve ces mots : «  je tue les enfants français dans les jardins ». Cet homme, un Arménien, voulant faire vivre aux femmes françaises les massacres perpétués sur les enfants Arméniens devant les yeux de leurs mères par les Turcs. La jeune héroïne, Lisa, tombe alors sur la reproduction de la scène parue dans le Petit Journal de l’époque, et cette illustration va la marquer.

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J’ai aussi aimé la petite présentation de l’auteur dans la première page. C’est une enseignante qui vit et travaille à Marseille, et je me demande vraiment si ce livre n’est pas autobiographique, du moins sans la fin, parce que tout au long de la lecture on sent bien le vécu. On a vraiment l’impression que les adolescents décrits dans ce roman ont existé, que les situations ont été vécues. Je crois que c’est ce qui rajoute de l’horreur à ce roman, c’est-à-dire penser que tout ce qui est écrit peut et s’est peut-être même passé, que les enfants ont réellement fait ce qui est raconté.

Alors, à quoi ressemble le quotidien de Lisa? Je pense que c’est difficile de résumer toute l’horreur, la tragédie qu’elle vit, que certainement des centaines de professeurs vivent au quotidien dans les quartiers difficiles des grandes villes, et pourtant, j’ai trouvé cette phrase qui constitue le 2e chapitre, qui pour moi résume bien la situation :

Mon inspecteur m’a dit, il y a trois mois : N’essayez même pas de faire cours, mademoiselle. Sauvez votre peau.

Cette phrase marque bien une idée que l’on va retrouver pendant tout le roman : celle d’être abandonné par l’institution sensée protéger à la fois les enfants dont elle s’occupe et les professeurs qu’elle envoie au front. Parce que dans ce roman, l’auteur illustre très bien un mal de notre société, celle de l’abandon et de la lâcheté. Ce sont deux choses que personnellement je déteste, et Lisa va se retrouver confrontée à ces deux éléments alors que la situation qu’elle va vivre impose qu’elle soit soutenue, que l’oubli ne vienne pas cinq minutes après l’événements.

C’est l’ambiance étrange dans la salle des profs qui m’a mise la puce à l’oreille. Il y règne un silence inhabituel. (…) Tous les collègues sont assis autour de la table centrale et secouent leurs têtes accablées entre quelques bribes de phrase, et j’attrape au vol une question, « On sait pourquoi? », qui me fait comprendre qu’il ne s’agit pas d’une tragédie administrative. Je me glisse près de la collègue d’espagnol.

– Q’est-ce qui se passe?

– C’est une petite de troisième 2 qui s’est suicidée. C’est ta classe à toi, non? Les italiannistes.

– Mon Dieu, mais c’est qui?

J’ai posé la question à mi-voix, dans un souffle, instinctif. Mais j’ai compris. La réponse de Julia a quelque chose d’horriblement évident.

– Samira quelque chose. (…) Si je comprend bien, elle a sauté du balcon de chez elle, du cinquième étage.

(…)

Nous sommes jeudi, Samira est morte lundi et déjà c’est oublié. J’attendais que l’administration organise quelque chose, un moment de réflexion, une réunion où on aurait pu s’interroger ensemble sur cette histoire incompréhensible, chercher les causes, en tout cas trouver une ébauche de réponse, mais rien. Je me serai même contenter d’un papillon épinglé sur le tableau d’affichage de la salle des profs, entre une revendication syndicale et un avis de stage de formation, juste un petit rien qui nous aurait rappelé à chaque instant qu’il y a parfois de jolies vies qui disparaissent, mais il n’y a eu que le silence.

Samira est donc partie dans l’indifférence générale, et c’est quelque chose qui me révolte plus que la mort. Personne ne semble se poser la moindre question. C’est moi qui asticote tout le monde. (…) Mais on me répond toujours par un haussement d’épaule, un petit claquement de langue, j’ai bien conscience de leur casser les pieds avec mon obsession, et ma colère monte en même temps que mon désarmement, je suis perdue, je ne sais pas comment je vais continuer sans elle.

(…)

Lundi matin, comme il fallait s’y attendre, tout le collège était en émoi. Un deuxième mort en une année, ça faisait mauvais effet ; étrangement, soudain tout le monde ses souvenait de Samira, pas comme je l’aurai voulu toutefois. Elle devenait un élément statistique, et dans la bouche des collègues son prénom était immuablement précédé de « D’abord… ».

Nous avons donc ici un élément qui ne sera jamais avoué par l’Education Nationale qui s’estime être proche des enfants dont elle s’occupe, alors que la réalité est toute autre. Personnellement, je ne venais pas d’un quartier difficile d’une grande ville, c’était un pauvre collège de province dans lequel j’ai fait ma scolarité, mais la réalité est la même: les problèmes sont minimisés à un point qu’ils deviennent invisibles, comme si tout le monde, d’un même accord, les oubliaient au fur et à mesure pour nier leurs existences. Qu’importe que les élèves n’aillent pas bien, personne n’est prêt à leur tendre la main. Personne n’est prêt non plus à donner des explications à une situation qui les dépasse. D’ailleurs, pourquoi chercher des réponses? Ce ne sont que des enfants à problèmes après tout. Je ne dis pas que ceci est vrai dans tous les établissements, je dis seulement que ce cas de figure existe, et beaucoup plus qu’on le croit. C’est ce qui va profondément révolter Lisa. Elle n’est pas là pour voir mourir ses élèves, mais pour leur donner les chances de se construire un avenir.

Lisa n’est pas épaulée par sa hiérarchie. Et ce n’est pas de la part de ses élèves qu’elle peut espérer un peu de compréhension ou de l’aide. D’ailleurs, c’est comme si personne ne pouvait aider ces enfants, et qu’ils en profitaient. Quand à avoir une main tendue de la part des parents, c’est peine perdue.

J’ai convoqué la mère d’Adrami. Au téléphone j’ai insisté, je voulais voir la mère naturelle et non pas l’une de ses innombrables tantes et voisines qui dans la société comorienne ont fonction de représentantes légales. Elle est donc arrivée à 17 heures, un peu hagarde, en pantoufles, mais avec sur le visage les marques de toutes les couleurs du monde et la dignité des esclaves congénitales. (…)

L’échange fut édifiant. quand enfin madame Ibouroi s’est mise à parler, elle m’a appris que de toute façon Adrami faisait régner la loi du jars mécontent à la maison, frappant sa mère, frappant ses soeurs à la moindre contrariété, seul mâle dans un univers de femmes soumises. Il entrait et sortait à sa guise, depuis qu’il avait l’âge d’ouvrir une porte tout seul, ne rencontrant sur son passage aucune espèce de résistance : la résistance, il l’avait matée à coups de baffes. (…) Madame Ibouroi me dit, à moi : « Toi, essaye. » J’ai éclaté de rire.

Les garçons que côtoient tous les jours Lisa sont donc des garçons qui prennent sans rien donner en retour, qui se conçoivent comme des rois, et n’hésitent pas à le montrer à quiconque se met en travers de leur chemin. En ce qui concerne les garçons comme cet Adrami, c’est à coup d’intimidation, à coups de coups qu’ils s’expriment, même s’ils ne s’attaquent pas au corps enseignant directement, se contentant de leur faire peur. Mais il a des garçons bien plus pervers dans cette classe à laquelle ne cesse de faire référence l’auteur, et la peur qu’ils transmettent est bien plus terrifiante que celle des coups. C’est une peur bien plus insidieuse, une véritable attaque qui se perpétue tous les jours dans la plus totale indifférence.

Je reçois en pleine figure le regard moqueur de Malik, il est le chat et moi la souris, même si j’ai vingt-huis ans et lui quinze, il savoure à l’avance l’heure qu’il va passer dans ma classe à essayer de me déboulonner. Sur sa gueule triomphante se lit la satisfaction chafouine de celui qui rumine un sale coup. (…)

Malik, qui avait gueulé, en me voyant arriver le jour de la rentrée : Madame, c’est vrai que les Italienne, elles sont bonnes? et qui m’avait demandé d’une voix forte et assurée, en plein cours, Madame, comment on dit en italien UNE GROSSE CHATTE? La suite des événements est donc d’une logique implacable, il fallait bien sûr qu’un jour je serve de défouloir aux obsessions de ce gamin.

Et le pire, c’est que même les filles ne sont pas en reste. Elles sont aussi problématiques que les garçons, c’est-à-dire qu’il n’y a personne pour rattraper la situation.

Je n’ai pas rêvé. C’est bien Cindy, la grande perche de troisième 2 qui vient toujours en cours en soutien-gorge au mois de décembre. Elle n’a pas que le nombril à l’air, au moment où je l’aperçois derrière le collège, dans la petite rue que j’ai emprunté ce matin. (…) Elle a rabattu brusquement sa jupe et a repoussé le type qui était en train de se reboutonner. Un vieux type. Voir une gamine de seize ans se faire besogner par un vieux type entre deux voitures, dans une rue déserte alors que la nuit est encore noire, est facilement traduisible. (..)

– Mais qu’est-ce que c’est qui t’oblige à faire ça? (…) C’est une question familiale? Il y a des problèmes financiers à la maison? Il n’y a pas de quoi acheter à manger à la maison? (…)

– Ah non! Vous m’accusez pas qu’on est pauvres. On est pas des pauvres?

– Mais alors pourquoi?

(…)

– Chais pas, moi. Comme ça j’achète des trucs. Des trucs dégaine, quoi. (…) Des marques. Je sais que ça vous fait chier, que moi je peux me payer des marques.

Que voulez-vous répondre à cela? Les adolescents présents dans ce récit ne sont là que pour brimer les adultes qui évoluent autour d’eux, leur montrer que le monde n’est qu’un « tas de merde », comme le fait remarquer l’auteur, et que leur vie va se résumer à cela. Lisa, la jeune professeur d’italien, a d’ailleurs peur d’aller au collège, et elle ne vit finalement que le samedi et pendant la première semaines des vacances scolaires, avant qu’elle ne pense à son retour dans l’enfer, là où les élèves font la loi vêtus avec des vêtements qui coûtent le salaire que ces professeurs gagnent à la sueur de leurs fronts.

A un moment donné, l’auteur revient sur ce qui a poussé son héroïne a devenir prof. En vérité, elle a fait cela parce que son propre père enseignait l’italien au collège, et c’était un prof tellement apprécié que ses élèves allaient en souriant à son cours, heureux, les étoiles dans les yeux, et que ce prof parfait, tel qu’il en existe hélas si peu, allait au collège en sifflotant, lui aussi heureux. Cette jeune femme ne pouvait donc qu’avoir le désir de reproduire ce modèle, mais il y a une réelle différence entre enseigner dans un collège de campagne, où tout le monde se connait, comme le faisait son père, et dans le centre ville de Marseille comme le fait Lisa. C’est ce qui amène un peu d’incompréhension entre le père et la fille, l’incompréhension dans le système qui échoue, qui produit des monstres, le système qui abandonne, qui n’a pas de solution, envers ces temps qui changent sans que rien ne soit préparé. Ce père se retrouve désarmé, incapable d’aider sa fille alors qu’ils font le même métier, qui n’a pas plus de solution que les autres.

J’ai dit à mon père, aujourd’hui, au téléphone : on me traite de pute et de salope tous les jours et j’ai l’arcade sourcilière éclatée. Mais c’était un accident. Il est resté muet un long moment puis a dit : Je ne trouve pas de solution. Je cherche, mais je ne trouve pas.

Et puis, dans ce paysage, il y a aussi tous les autres, toutes ces personnes qui sont persuadées d’avoir la solution, qui assurent à Lisa qu’elle fait seulement mal son travail, que c’est pour cela qu’elle est devenue une cible. Dans la liste de ces personnages, je dirais déjà qu’il y a la menace, non pas présentée par l’auteur, et pourtant bien présente, de celle de l’institution que Lisa est sensée représentée. En effet, Lisa se sent coupable de ne pas parvenir à enseigner, mais rien ne lui est donné pour exercer son métier. Et pourtant, elle doit sans cesse rendre des comptes. Lors des conseils de classe, décrits à la fin du récit, presque tous les élèves passent en année supérieure ou en apprentissage, parce que l’éducation est obligatoire et qu’ils sont obligés de garder dans le système ces enfants qui n’en veulent pas. Ils ne peuvent pas se permettre d’avoir trop de redoublants sans cela ne pose problème à l’Education Nationale qui peut tomber sur le dos du collège et les obliger à revoir leur position. Parce que, voyez-vous, trop de redoublants dans une classe prouvent que les enseignants ne sont pas à la hauteur. C’est donc le travail de Lisa qui est remis en cause et pas la manière dont ces enfants, pour une partie fichée par la police nationale, se comportent. Il y a d’ailleurs quelques anecdotes données par l’auteur pour illustrer ce propos :

J’ai entendu à la radio que dans un lycée français les policiers en uniforme sont venus arrêter, en plein cours, un jeune enseignant. Ils l’ont menotté devant ses élèves. Des parents avaient portés plainte parce que dans le roman que le jeune prof avait fait lire à la classe figuraient quelques lignes un peu osées.

Dans le lycée d’une de mes anciennes camarades d’agrégation, les élèves de première S ont refusé de lire Tartuffe. Il paraît que ça choquait profondément leur morale religieuse. Pourtant, ils étaient tous musulmans. Ca ne les a pas empêchés d’écrire sur les murs du lycée que leur prof de français était une pute parce qu’elle lisait ce genre de choses pornographiques. C’est réconfortant de voir à quel point la pureté morale de ces enfants est vivace et intouchable.

Dans un collège du nord de la France, une gamine a poignardé sa prof de maths. Il a fallu que ce soient les collègues qui se mettent en grève pour que la sécurité soit renforcée au sein de l’établissement, parce que les collègues s’en foutaient royalement.

Il paraît que nous sommes des privilégies.

En dehors de l’institution, il y a les autres profs, ceux qui sont persuadés de parvenir à un résultat, d’avoir le respect des élèves. Et il y a aussi les autres employés du collège, comme le CPE, qui est vraiment un horrible personnage imbu de lui-même dans ce récit.

Et pour finir sur ces personnages bien pensants, il y a ceux qui ont leur point de vue sur l’éducation, comme on peut en croiser à chaque coin de rue dès que nous évoquons ce type de conversation. D’ailleurs, c’est une discussion à éviter.

Des dissertations sur l’enseignement, j’en ai tellement entendues qu’il me serait même impossible de les classifier par genres et arguments dominants. En fil rouge des différents visages que peut prendre ce concept, grand sujet de polémiques de bistrot devant l’Eternel, une immuable idée maîtresse : en gros, nous sommes ceux qui ont toujours tort. Ceux qui font souffrir, ignoble dictature séculaire, ces pauvres enfants qui n’aspirent qu’à la liberté. Des malades mentaux, la plupart du temps. J’ai même cesser de compter les anecdotes entendues commençant par : j’avais un prof de … qui était complètement fou. Des dingues, des mal baisés, des obsessionnels, des trouillards. Névrosés et sadiques, nous sommes ceux à qui l’Etat délivre sûrement des diplômes par charité, histoire de nous occuper un peu, pauvres intellos qui feraient quoi sinon, je vous le demande un peu….

Vous comprenez à présent dans quelle situation se trouve Lisa, mais aussi dans quel état d’esprit elle peut se trouver, seule adulte a avoir pleinement conscience de la réalité du collège, de sa violence verbale et physique, qu’elle ne peut partagée avec personne sans paraître pour une femme qui se plaint tout le temps. Elle se retrouve même considérée à un moment de l’histoire comme une prof à problème, notamment à cause de ses ennuis avec Malik et Adrami, puis avec Cindy et la mort de Samira, et ce n’étaient qu’un début…

A présent, je vais vous expliquer pourquoi ce livre est considéré comme un polar. Bien qu’il semble s’éloigner de ce genre, puisque nous avons seulement le récit d’une pauvre professeur dépassée par les événements dans un collège difficile, l’ambiance du récit correspond tout à fait au genre. En effet, l’angoisse de Lisa monte au fur et à mesure que les mois passent. Il y a donc une vraie montée de tension dans ce récit, jusqu’au moment où tout va basculer, où la violence va réellement entrer dans le récit de manière brutale.

Chtok, tzoiiing.

C’est ce petit bruit qui me fait me retourner, toiser l’assemblée qui se marre, et avant même de savoir ce dont il s’agit je détermine qui en est l’origine. Tout le monde regarde Malik. Ca ne m’étonne qu’à moitié, il était beaucoup trop calme pour ne pas être honnête. (…)

– Malik?

– C’est pas moi madame! La Mecque c’est pas moi.

(…)

Entre-temps, j’ai fais le tour du bureau et suis descendue de l’estrade, cherchant des yeux ce qui a bien pu faire ce bruit qui vient de foutre mon cours en l’air. Là aussi il suffit de suivre les regards, et quand je réalise la chose je suis saisie d’un haut-le-coeur.

Il y a un couteau planté dans le bois du bureau. Un petit Opinel. (…) Il y a un couteau qui vient de traverser la classe et de se planter dans mon bureau en faisant Chtock, tzoiiing. A un mètre de moi. Moi, enceinte de deux mois.

(…)

Cette nuit, j’ai perdu le bébé.

Ce qui va suivre alors ce drame n’est qu’une escalade vers une violence plus grande encore, vers une vengeance programmée par celui même vers qui elle va être tournée. En chemin dans le récit, Lisa perd son sac et se fait voler ce qu’elle avait de plus précieux, le seul bien qu’elle protégeait avec une farouche volonté, son adresse. Parce qu’une fois que les adolescents livrés à eux même, sans remords, sans même notion de bien ou de mal, avec une furieuse envie de vous détruire, se retrouvent devant votre porte, seule la panique peut vous gagner. Le récit mène donc à cela, à cette montée de panique envers le personnage de Lisa qui ne peut que mener à un nouveau drame. Pour ne pas trop dévoiler la fin, je ne vais pas raconter ce qui va suivre, mais je dirais simplement que c’est ce qui a, à mon avis, conduit les éditeurs à cataloguer ce livre dans les « polars », cet engrenage de violence qui ne peut mener qu’à la mort de l’un des protagonistes.

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Je vais terminer cette longue chronique sur un point qui me parait essentiel. Il va sans doute en choquer plus d’un, mais lorsque vous lisez ce récit et que vous pensez à tous ces jeunes professeurs sans expérience envoyés dans de tels établissements, et même aux autres plus âgés lâchés dans ce qui ressemble à une arène, vous ne pouvez que vous rangez du côté des arguments de l’auteur. Il s’agit de l’avenir de ces jeunes des quartiers, de ceux qui ne veulent pas s’en sortir, de ceux qui n’ont pas la capacité de s’en sortir, de ceux qui s’en foutent, de ceux dont les parents et la famille ont abandonné et qui ne connaissent plus que la violence et la peur. Quel avenir ont-ils ces jeunes-là, sans structure prête à les prendre en charge, sans volonté d’imaginer une autre vie?

Mais le conseil prend fin, sur des conclusions peu reluisantes. Au vu des résultats, les trois quarts de la classe ne pourront jamais passer en seconde. Certains gentils médiocres auront la possibilité d’intégrer une branche professionnelle parce qu’ils ont fait preuve de bonne volonté. Les plus problématiques, en revanche, n’y seront jamais acceptés, vu le nombre d’avertissement et la notification de leur comportement intolérable. Un type comme Adrami, par exemple, chargé de trois avertissements, d’un blâme et d’une moyenne de 5, est condamné à errer dans les limbes de l’incertitude jusqu’à ce qu’il ait seize ans. Et puis, il se retrouvera largué dans la nature. Je ne me fais pas trop de soucis pour lui : il me semble évident qu’il trouvera un jour la possibilité de se recycler dans la délinquance, trafiquant de shit ou de cigarettes ou de trucs dégaine. Le reste du temps, il traînera sous les portes cochères et racontera à ses comparses, pour amuser la galerie, à quel point il faisait la misère à ses profs. Voilà une bonne petite sculpture en merde bien modelée, messieurs dames. Admirez le travail d’artiste.

En vérité, les adolescents dont s’occupe Lisa, ou du moins qu’elle côtoie, sont, je trouve, assimilés par l’auteur à de la vermine qu’il faudrait exterminer avant d’être détruite par elle. Je ne sais pas si c’est l’effet voulu, mais c’est du moins ce que moi je tire de cette lecture. Je ne me permettrais pas de dire si elle a raison ou tort, la vérité se trouve dans la manière dont ses personnages évoluent et se détruisent en emportant les autres sur leurs passages. Un individu du type de Malik, près à jeter un couteau sur quelqu’un, est un danger pour autrui, et des individus de cette sorte existent dans les établissements scolaires. Mais la question que pose ce livre est bien la manière dont ils doivent être traités. Certes, nous suivons bien Lisa qui est le personnage principal, la jeune prof jetée dans la fosse aux lions, mais je pense que le véritable but de ce livre n’est pas seulement de s’arrêter sur le parcours des professeurs en milieu défavorisé, mais plutôt de s’interroger sur la manière dont ces enfants, car ce sont bien des enfants, sont considérés par notre société. Lisa va faire un choix qui va déterminer sa vie à la fin, mais elle permet bien de poser cette question : ces enfants ont-ils véritablement un avenir? (autre que la délinquance, cela va de soi) Et surtout ce qu’il faut en faire, de ces enfants désabusés et déjà détruits par la vie?

En tout cas, ce livre m’a conforté dans mon idée, je ne serais jamais professeur. J’ai beau suivre une filière universitaire où l’enseignement semble être la seule voie, ce n’est et ce ne sera jamais pour moi. Il faut être fou pour se risquer à fréquenter des adolescents d’une telle violence, et ce n’est pas parce que c’est un collège difficile qui est décris dans ce récit que c’est mieux dans d’autre établissement.

Je ne conseille pas ce livre aux âmes sensibles, car cela pourrait détruire momentanément toute leur foi en l’humanité. Le texte est assez rude, parfois très cru, et l’enchaînement de scène d’une certaine cruauté. Finalement, la fin était la seule possible, et tout le récit est tourné vers cette tragédie. Mais je pose qu’il faut le lire pour se rendre compte de la vérité de notre système éducatif et des horreurs qu’il crée. Cela pourrait peut-être permettre à certaines personnes de se remettre en question, voir d’être un peu plus solidaire avec cette profession : tous les professeurs ne sont pas à mettre dans le même sac et certains aiment encore leur métier, mais il faudrait leur donner les moyens de l’exercer convenablement, sans qu’ils mettent leurs vies en danger. Et aussi le fait que certains enfants sont des monstres, et ça c’est un fait.

J’ai un peu de sang sur les mains mais ça n’a aucune importance : certaines hémorragies ont la faculté de lessiver les souillures, et l’avenir brille comme un sou neuf.

Marseille, juillet 2002-mars 2003

 Et vous? 

Pensez-vous que les enfants peuvent commettre l’irréparable? Pensez-vous que la réalité puisse être aussi dure dans les zones sensibles? Que les professeurs sont des privilégiés qui ne pensent qu’à leurs vacances? Qu’ils peuvent avoir peur en arrivant au collège? Que feriez-vous pour ces enfants échoués? 

3 réflexions au sujet de « Je tue les enfants français dans les jardins »

  1. Que de questions sans réponses, y a-t-il des réponses à cela mis à part retirer la violence…Malheureusement, c’est bien la réalité dans certains établissements…Mais que faire, y a-t-il une solution ? Bisous

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    1. et oui, beaucoup de questions sans réponses, et pas de solutions. ces enfants existent, ils sont violents, mais on ne peut pas les nier, on ne peut pas les ignorer, et pas non plus les mettre de côté. ce n’est pas un problème aisé. peut être qu’un jour on aura une solution. il ne faut pas perdre espoir 😉
      merci de ton commentaire, bisous

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