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Engrenages et sortilèges

Bonjour à tous. J’espère que vous allez bien et que vous passez une bonne semaine. Pour ma part, cette dernière se termine avec deux heures de cours avec mes élèves adorés. ils m’avaient manqués, et même si l’on ne fait pas vraiment cours, avantage de la philosophie où je les fait discuter sur les notions au programme et l’actualité en général, cela fait du bien de pouvoir reprendre un certain rythme et les voir. D’ailleurs, ils sont plutôt contents d’être là, même s’ils ne sont pas nombreux. On est presque dans des cours particuliers. Je suis vraiment contente de reprendre, même dans ces conditions particulières. Et puis, j’ai ramené à la maison des piles énormes de livres envoyés par les éditeurs pour l’année prochaine, ce qui fait que je peux aussi commencer à préparer cette future rentrée.

Pour la chronique d’aujourd’hui, on va d’ailleurs rester un peu dans le domaine de l’école avec ce roman fantastique dont j’avais hâte de vous parler, que j’ai lu pendant le confinement. Et oui, il fait partie de ces romans dont je suis en retard sur la chronique. Mais qu’à cela ne tienne, la voici enfin. Il s’agit du roman Engrenages et Sortilèges, de Adrien Tomas, sorti l’année dernière aux éditions Rageot. Je remercie encore une fois ces derniers pour avoir permis à de nombreux blogueurs et lecteurs d’avoir pu découvrir leurs titres durant le confinement grâce à la plateforme Netgalley. Cela a vraiment fait plaisir à tout le monde, et j’ai ainsi pu faire de belles découvertes, dont ce roman dont je vous parle aujourd’hui. Voici son résumé :

Grise et Cyrus sont élèves à la prestigieuse Académie des Sciences Occultes et Mécaniques de Celumbre. Une nuit, l’apprentie mécanicienne et le jeune mage échappent de justesse à un enlèvement. Alors qu’ils se détestent, ils doivent fuir ensemble et chercher refuge dans les Rets, sinistre quartier aux mains des voleurs et des assassins. S’ils veulent survivre, les deux adolescents n’ont d’autre choix que de faire alliance…

Dans cette histoire, nous suivons deux personnages, Grise et Cyrus, qui ne s’entendent pas du tout. La première est mécanicienne tendis que l’autre est un mage. Ils n’ont rien en commun, si ce n’est qu’ils sont dans la même école, et que leurs parents travaillent pour l’Impératrice de leur monde. Or, une nuit, ils sont tous les deux victimes de la même tentative d’enlèvement. Désormais, Cyrus et Grise vont devoir compter l’un sur l’autre s’ils veulent survivre. Leur fuite va les mener tout droit dans les Rets, refuge des criminels, et cela va changer leurs vies à tout jamais.

Je vais commencer cette chronique par vous parler du personnage de Grise. J’ai beaucoup aimé son personnage, et surtout la manière dont elle évolue. A la base, c’est déjà un personnage auquel on s’attache car elle est pleine de vie et avide de connaissance, mais je trouve en plus qu’elle a une belle progression dans l’histoire, qu’elle change beaucoup. En effet, même si j’ai aimé la manière dont elle est au tout début du récit, il y avait certains défauts en elle, comme ses préjugés sur les personnes pauvres et vivants dans les rets. Mais son regard change au fil de l’histoire, à mesure qu’elle comprend la vérité, et qu’elle s’aperçoit qu’elle a de la chance d’être née du bon côté. Elle met toutefois un peu de temps pour s’en rendre compte, ce qui fait qu’elle est, pendant une certaine partie du texte, à contre-courant des autres personnages, dont Cyrus qui évolue plus vite qu’elle. Néanmoins, cela ne m’a pas empêché de m’attacher à elle, d’autant plus qu’elle se révèle être une combattante hors pair et une fille maline, avec de bonnes idées, qui va s’impliquer dans une cause qui la dépasse, mais qui lui tient à cœur. Elle est l’une des figures de la révolution, et elle n’a plus peur, mais elle met du temps pour cela. Je dois avouer que j’ai été parfois déçue par ses réactions, qui mettent en danger tout le monde, tout simplement parce qu’elle n’arrive pas à voir la réalité en face. Le lien qu’elle développe avec Cyrus est très intéressant, surtout qu’ils étaient ennemis à la base.

– Je… je sais qu’il y a des gens pauvres ! avait protesté Grise. Que tout le monde n’a pas la chance de naître noble ou bourgeois… mais ce n’est quand même pas la faute des Wilkeer ou de la duchesse d’Eroge si…

– Bien sûr que si, c’est leur faite ! Comment crois-tu que ces riches, ces puissants et ces parvenus construisent leur parfaite petite vie dorée ? En oppressant, en utilisant, en tuant à la tâche plus pauvres qu’eux pour leur bénéfice personnel ! En les envoyant se battre pour conquérir des pays en leur nom, en leur prenant leur vie, leurs membres, leur santé mentale, puis en les jetant à la rue sitôt leur objectif atteint ! As-tu seulement idée du nombre d’ouvriers exploités, de réfugiés et de soldats estropiés qui dorment dans les rues ? Des gens privés de travail, de dignité ou des deux, qui en sont réduits à voler et tuer pour subsister jusqu’au lendemain ! Quand un être humain en est réduit à la survie la plus élémentaire, il n’a plus que faire des lopis de la société qui l’a conduit là !

Grise avait répliqué :

– Mon père m’a appris que le crédo des Révodateurs est basé sur la rage et le sentiment d’injustice, parce qu’ils sont envieux de la réussite des autres et les blâment pour leurs propres échecs. Si vous vous mettiez à travailler honnêtement plutôt que de protester, détruire et revendiquer, vous seriez plus heureux et la Garde de Cuivre ne chercherait pas à tout prix à vous envoyer en prison.

Les yeux de Lieber avaient brillé de colère, et ses joues s’étaient teintés d’écarlate. Il avait ouvert la bouche pour répondre, avant de la refermer aussitôt. Il avait inspiré profondément, puis lui avait adressé un grand sourire désabusé.

Je vais à présent vous parler de Cyrus, qui est donc le deuxième personnage principal de cette histoire. Dans la première partie de l’histoire, il ne donne pas du tout envie de s’attacher à lui. C’est même un personnage très désagréable dont on serait content de s’en débarrasser. Il est arrogant, méprisant envers les autres, il se croit tout simplement supérieur et il ne fait aucun effort. C’est quelqu’un avec un gros poil dans la main qui se décourage très vite et qui semble incapable de changer. Pourtant, il a lui aussi une très bonne progression, et c’est un personnage qui se révèle tout au long de l’histoire. Au début, l’on pense que c’est Grise qui va motiver tout le monde, qui va prendre les rênes, mais c’est en fait Cyrus qui va motiver les actes de Grise. Il comprend plus rapidement qu’elle dans quoi ils se sont fourrés, et il lui sauve la vie à plusieurs reprises. Il s’engage aussi plus rapidement dans la rébellion qui éclate, et lorsque Grise sent qu’elle doit abandonner, c’est lui qui la remotive. C’est un personnage que l’on apprend à apprécier. J’ai adoré le dilemme qui se présente à lui lorsqu’il doit accepter de pratiquer la nécromancie, et que finalement un nouveau monde se découvre à lui. Il apporte aussi de l’humour dans le récit, et le lien qu’il a avec son familier est très beau et intéressant pour l’histoire, car c’est ce qui lui donne son humanité. J’ai apprécié la manière dont il s’implique dans la révolution et le lien qu’il développe avec les autres, alors que Grise est plus solitaire. C’est quelqu’un de sociable, qui est alors nécessaire à leur plan. Il est vif et intelligent. Finalement, j’ai préféré son personnage, son évolution, à celui de Grise.

Cyrus Vorocle était l’archétype du petit ésotéricien de bonne famille. Arrogant, sûr de lui, il ne se déplaçait qu’avec sa meute, une bande de sbire ricanant à la moindre de ses mauvaises plaisanteries. Il était pourvu d’une magnifique chevelure noire, d’une peau pâle sans défaut et d’un incroyable regard bleu sombre rehaussé par de minuscules – et ridicules – bésicles dorées. Cyrus était beau, il le savait et il en jouait. Deux des membres de sa cliques étaient des filles stupides qui gloussaient et rougissaient chaque fois qu’il leur adressait la parole – attitude qui donnait envie à Grise de les étrangler.

Les étudiants en ésotérisme avaient parfaitement conscience de l’avenir brillant auquel leur don les destinait. Ils étaient les occultistes, érudits et primarques de demain, la future classe dirigeante de l’Empire. Ils méprisaient donc toutes les forces des ingénieurs, mécaniciens et automaticiens qu’il voyaient comme des enfants stupides cherchant à compenser leur absence de pouvoir arcanique par des bricolages ridicules. De leur côté, les technologistes considéraient les ésotériciens comme les derniers représentants d’une espèce obsolète, puisque les machines pouvaient désormais accomplir mieux et plus vite presque tout ce dont était capable un magicien.

Le roman se découpe en trois parties distinctes. La première concerne la vie de Grise et de Cyrus à l’académie, ce qui nous sert finalement d’introduction car on découvre ainsi les deux personnages principaux, ce qui les oppose, et l’on peut se faire un avis sur eux. C’est assez intéressant car l’on découvre aussi leur univers, leur monde, et on découvre aussi la politique. La deuxième partie elle s’intéresse à leur vie dans les Rets, quartier malfamé de la ville où ils sont, où ils découvrent donc la pauvreté et l’envers du décor. C’est ce qui amène Cyrus et Grise à évoluer, à changer leurs préjugés. Et enfin, la troisième s’attarde sur la révolte, sur le changement en profondeur, non plus de Grise et Cyrus, mais de tout leur monde. J’ai vraiment beaucoup aimé cette partie, que j’ai trouvé très moderne, surtout en ce moment. Cette dernière partie, où l’on voit les personnages combattre, que ce soit avec les mots ou les armes, est très actuelle, et elle amène une résonance vraiment particulière à la fois dans le roman, mais aussi dans notre façon de regarder les actualités. C’est une vraie partie de réflexion. Je trouvais déjà que la deuxième partie apportait beaucoup à l’histoire, mais cette dernière partie nous fait regarder les choses, que ce soit dans le roman ou dans notre monde, avec un œil neuf. On a ainsi toute la partie politique et judiciaire qu est mise en place et interpellée. Je trouve que c’est le plus beau moment du roman, cela qui m’a amené le plus de frisson. On comprend ainsi les enjeux politiques mis en place, enjeux modernes et actuels dans notre monde, et aussi toute une remise en question des procès. On voit une vraie révolte éclater, et c’est aussi, paradoxalement, le moment le plus drôle du livre. J’ai adoré le procès et l’avocat des condamnés. C’est vraiment une partie plaisant à lire et l’on rigole, tout en sachant aussi que le moment est sombre et dramatique, que tout va basculer. C’est un vrai moment de génie, de parvenir à rallier les deux sans tomber dans le vraiment tragique ou dans le trop drôle. C’est très bien dosé, et c’est ce qui m’a énormément plu.

Il s’agissait de taxer à la limite du supportable les classes pauvres et moyennes et d’améliorer l’attractivité de l’armée en offrant de nets avantages à la rejoindre : écoles gratuites aux médecins et guérisseurs, soldes enviables, exemption d’une part des impôts, prestige, aventure, et ainsi de suite.

Pendant que les artisans et ouvriers travaillaient d’arrache-pied pour simplement espérer survivre jusqu’au lendemain, l’Empire convainquait leurs enfants terrifiés par le chômage et la faim de rejoindre l’armée. Personne n’avait réalisé qu’il s’agissait là d’une subtile mobilisation généralisée, pourtant les effectifs de l’armée impériale avaient quasiment triplé en cinq ans.

Toute la partie sur la magie m’a aussi bien plu, et j’ai apprécié que l’on voit non seulement des magiciens, mais aussi des mécaniciens, des techniciens. Tout cela amène un côté steampunk assez sympa et agréable, et c’est plaisant de voir Grise et Cyrus travailler ensembles, les voir adapter leurs qualités, leurs dons, leur apprentissage, l’un à l’autre afin de progresser davantage. Eux qui ne se parlaient pas, qui avaient deux matières totalement différentes, se rendent compte qu’ils ont besoin l’un de l’autre, et qu’aucune de leurs capacités ne peut s’imposer face à l’autre. la magie est aussi importante que la mécanique, et inversement. J’ai aussi beaucoup aimé la manière dont cette magie est racontée, expliquée, et le fait que l’on lie tout cela avec la nécromancie est agréable et original. J’ai bien aimé la manière dont l’auteur perçoit cette magie, la manière dont il la qualifie. On a alors envie d’aller plus loin là-dedans, dans ces explication. La mécanique, notamment avec les robots et les automates, est aussi sympa à lire, même si j’ai eu le sentiment que cela était in peu plus mis de côté par rapport à la magie.

En ce qui concerne l’écriture de ce roman, elle est fluide et agréable à lire. On est rapidement plongé dans l’univers du livre, et les pages se lisent rapidement. J’avoue avoir eu un peu de mal au début à comprendre où il voulait en venir, et je craignais que l’histoire ne s’éternise, mais la dernière partie, comme je l’ai déjà dit, est juste géniale. On devine certes quelques éléments qui doivent mettre du suspens, mais cela ne m’a pas dérangée. La dernière partie est peut-être un peu trop rapide à mon goût, mais j’avais du mal à lâcher Cyrus et Grise à la fin. Je me demande donc si une autre histoire dans le même univers sera possible un jour, avec pourquoi pas d’autres héros, mais j’ai vraiment apprécié tout ce qui est mis en place ici. L’humour est bien présent sans en faire trop, et les personnages sont attachants. Les descriptions ont fluides et permettent de voir ce que voient les personnages. C’est un bon roman, bien écrit.

En résumé, j’ai beaucoup apprécié ma lecture et je vous la recommande. C’est un bon roman de fantasy avec du steampunk, avec aussi une bonne dose de modernité dedans. C’est un roman qui fait écho à ce qui arrive de par le monde, et j’ai beaucoup apprécié cela. On voit aussi les choses d’une autre manière avec cette lecture. Comme Grise et Cyrus, j’ai l’impression devoir les choses d’une autre manière, d’avoir été tirée du brouillard. C’est un roman très intéressant avec des personnages agréables et attachants.

Et vous ?

Qu’aimez-vous retrouver comme thème dans vos lectures ?

Aimez-vous les lectures qui vous font réfléchir

Qui pointent les défauts de nos époques ?

Préférez-vous les romans plus légers ?

Bon vendredi à tous 🙂

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