chroniques littéraires

On noie bien les petits chats

Bonjour tout le monde. J’espère que vous allez tous bien et que vous avez passé un bon début de semaine. Ici, ce dernier est marqué par la chaleur, comme pour beaucoup de personne, et il y est compliqué de sortir de chez soi. J’ai du mal à comprendre comment tout le monde peut rester calme avec de telles températures, et ne pas chercher à inverser la tendance. Oui, je sais qu’il fait chaud en été, mais là, c’est quand même trop, surtout que je ne suis pas dans le sud, et que notre terre n’est pas habituée à de telles extrémités.

Mais si je reviens vers vous aujourd’hui, c’est pour partager avec vous l’une de mes dernières lectures, l’une de celles que j’ai lu pendant le dernier weekend à 1 000. Vous pouvez d’ailleurs retrouver mon bilan sur cette nouvelle édition sur le blog. Mais aujourd’hui, je vais surtout me concentrer sur le roman policier On noie bien les petits chats. Je vous le dit tout de suite, c’est le titre qui m’a attiré pour ce roman, et ce titre assez particulier a une grande importance dans l’histoire. Ce roman a été écrit par Françoise Guérin, une autrice que je ne connaissais pas, ce qui m’a donné envie de découvrir d’autres de ses titres. Il est paru aux éditions Eyrolles, et est sorti en janvier 2022. Voici son résumé :

Quand elle reprend conscience à la maternité, Betty ne se souvient pas des circonstances dramatiques de son accouchement. Elle ne comprend pas pourquoi son mari reste injoignable. Elle découvre avec effroi que son bébé a été baptisé Noé et qu’un inconnu rôde autour de lui. Elle se débat, impuissante à le confondre. Mais peut-elle se faire entendre alors qu’on la prétend folle ?

Accueillie au sein de l’unité mère-bébé par un psychiatre peu conventionnel, soutenue par une équipe de choc, Betty va renouer, peu à peu, avec sa mémoire confisquée. À commencer par ce prénom, Noé, qui ravive une douleur longtemps endiguée. Lorsque le barrage cède, la vérité a des allures de cadavre… 

Dans cette histoire, nous suivons Betty, une jeune femme qui ne se souvient plus de son enfance ou de son adolescence. Volontairement ou inconsciemment, elle a tout effacé, et elle pense vivre des jours heureux avec Camille, son mari. Mais voilà que ce dernier, journaliste, part en Somalie couvrir une opération caritative, et elle, elle accouche seule, sur le seuil de son appartement. Lorsqu’elle reprend connaissance, son bébé a été nommé sans son accord, et quelqu’un se fait passer pour le père de l’enfant. Serait-ce Camille ? Mais pourquoi un policier lui dit-il alors que Camille a été enlevé en Somalie ? Qu’est-ce qui se trame autour d’elle, et pourquoi sa mémoire se montre-t-elle défaillante ? Betty va devoir apprendre à aimer son enfant, et comprendre qui lui veut du mal.

Je vais commencer cette chronique par vous parler du personnage de Betty. Elle est en effet le personnage principal et celle qu’on va suivre tout au long du récit. Tout d’abord, il est très facile de ressentir de l’empathie pour elle, et d’avoir pitié pour son personnage. Lorsque le récit commence, elle est persuadée qu’elle va bientôt accoucher, et personne ne la croie. En vérité, ce début résume une partie du livre, personne ne lui fait confiance, tout le monde est toujours persuadée qu’elle ment, qu’elle affabule, et cela date de son enfance. Ceci fait que Betty n’a aucune confiance en elle et en les autres, et qu’elle a du mal à discerner la vérité dans ses propres sensations ou émotions, puisque tout le monde lui assure qu’elle se trompe en permanence. Cela va alors avoir de graves conséquences, car elle accouche bien, mais chez elle, et c’est alors un véritable carnage. Et c’est là aussi qu’on éprouve de la pitié pour Betty. Car, à cause de cet accouchement, Betty ne va pas parvenir à se lier à son fils, et elle va avoir beaucoup de mal à éprouver de l’affection pour lui. On ressent donc de la peine pour lui, mais aussi pour elle, d’autant qu’elle va se retrouver seule pour affronter cette histoire. On sent aussi qu’elle ne ment pas, et qu’elle est menacée. On va donc ressentir de la peur pour elle et son enfant, et cette peur va se transformer en colère lorsqu’on en apprendra plus sur son passé, et ce qu’elle a déjà vécu. En fait, j’ai trouvé qu’on s’attachait vraiment très rapidement à elle, et qu’il était aussi facile de s’identifier à elle, car tout le monde peut devenir Betty a partir du moment où il est isolé comme elle l’est. On a vraiment envie de l’aider, et le fait qu’elle ne s’attache pas à son bébé ne m’a pas du tout dérangé, j’ai même trouvé cela très réaliste, alors que d’autres pourraient dire que cela est impossible. J’ai donc trouvé son personnage très crédible, et j’ai apprécié qu’on en apprenne plus sur elle à mesure que ses souvenirs lui reviennent.

Chaque obstacle semble insurmontable pour tes jambes lourdes, parcourues de fourmillements. A intervalles réguliers, ton ventre durcit et une onde maléfique te coupe le souffle. Tu t’arrêtes quelques instants. Au loin, tu distingues la barrière rouge et blanche qui se lève pour laisser sortir les véhicules de l’hôpital. Tu sais qu’il y a une station de taxis à proximité. Mais cela paraît si loin…

A quelques pas de l’entrée, une contraction plus forte t’arrache un petit cri. Les mains en tenaille autour de ton ventre pointu, tu t’adosses à une ambulance garée en double file. Tout en toi s’affole. Tu voudrais retourner à la maternité, leur crier de te garder, que tu as trop mal, que tu ne peux pas affronter ça toute seule…

– Pitié ! Ne me laissez pas !

Mais on ne te croira pas.

Parlons maintenant des personnages secondaires. Ils ne sont pas très nombreux, ce qui est agréable. On n’a donc accès qu’au mari de Betty, et aux membres du personnel de l’hôpital. Je vais commencer par vous parler du mari de Betty. Ce dernier est totalement absent, et comme Betty, on lui en veut de ne pas être présent, d’autant plus que lorsque les menaces se rapprochent, on se pose des questions sur son absence, et il fait un coupable assez crédible, même si Betty se refuse d’y croire. Toutefois, on sent aussi l’amour qu’elle lui réserve, et on se demande donc s’il est capable de lui mentir. Plus de détails sur lui auraient pu être sympa, justement pour accentuer cette piste du coupable idéal. Pour ce qui est du personnel de l’hôpital, on a donc les infirmières horribles, celles qu’on ne voudrait jamais croiser, et celles géniales, et on aimerait tous avoir une comme Charlotte. J’ai bien aimé son personnage, car elle montre qu’il est possible d’avoir de l’empathie à l’hôpital, et surtout d’écouter les patients. Charlotte, qui est stagiaire, montre donc qu’elle médecin formidable elle est capable d’être, et elle est la seule à prendre en compte les avertissements lancés par Betty. J’ai beaucoup aimé la complicité qui se met en place entre elles. De la même manière, j’ai aimé le docteur Lorrain, qui va tout faire pour que Betty apprécie son bébé, pour qu’un lien se noue entre eux, et il va aussi beaucoup écouter Betty, ce qui va lui permettre de renouer avec son propre passé. Ces deux personnages-là, le docteur Lorrain et Charlotte, montrent donc qu’il est possible de se faire entendre à l’hôpital, si on tombe sur les bonnes personnages. Ils vont devenir des alliés de choix pour Betty. Enfin, j’ai envie de vous parler de Madeline, qui est un personnage que j’ai beaucoup apprécié, et qui m’a aussi émue par sa sincérité, mais aussi son histoire. C’est un personnage auquel on s’attache vite, qui a tout pour elle, mais qui ne semble ne pouvoir que sombrer alors qu’elle fait tout remonter la pente. On a envie de l’aider, tout comme on voudrait aider Betty. Elle permet aussi de se poser des questions sur le rôle des mères, et la place qu’on leur laisse dans la société.

– Moi, j’ai pas coché « psychose » sur le formulaire. J’avais des rêves, des projets. Tu crois que je la voyais comme ça, l’existence ? Tu crois que je pensait qu’on allait me mettre en invalidité à vingt-cinq ans ? Que j’aurais des tonneaux de bière à la place des cuisses ? En vrai, les neuroleptiques, j’en avais besoin mais ça m’a détraqué l’appétit. Au début, à l’hôpital, j’avais tellement faim, je me relevais la nuit pur aller manger le pain sec qu’on mettait de côté pour les poules. J’aurais tué toute ma famille pour un paquet de chocos ou un saucisson. Quand y avait l’activité cuisine, j’étais toujours volontaire. On me faisait éplucher les pommes, j’en bouffais autant que j’en coupais. Les infirmières, elles disaient que j’avais besoin de me remplir. Y a même une psychologue, je l’aimais pas, elle disait que c’était parce que j’étais vide. Connasse, celle-là ! Elle avait rien compris. C’était pas du vde, c’était du trop-plein. Besoin d’étouffer tout ce qui me passait par la tête. Mon cerveau, il arrêtait pas de gigoter, trop d’idées à la fois, trop de tristesse que tu dois ravaler si tu veux avancer ! Mais elle répétait ça, sans savoir, sans m’écouter, comme si elle était dans ma tête à ma place. Un jour, la psychiatre qui me suivait lui a fermer son clapet.  » C’est la parole de Madeline qui compte, pas la vôtre ». J’étais trop contente. Enfin quelqu’un qui me croyait !

Parlons enfin des différents thèmes de ce roman. Le premier, qui est le plus évident, est donc tout ce qui concerne la maternité. C’est alors assez intéressant de voir comment ce sujet est traité ici, car on parle justement de la difficulté de créer du lien avec son enfant, alors que cela semblerait pourtant évident et facile. Même si la parole se libère de plus en plus en ce qui concerne le post-partum, ou les maltraitances de la part du personnel hospitalier, ici nous sommes tout de même face aux problèmes mentaux et au fait qu’il existe autant de troubles qu’il existe de naissances, car chacun va vivre ce moment de manière différente, selon son histoire personnelle. C’est d’ailleurs ce que j’ai aimé avec le docteur Lorrain, cette manière délicate de parler de parler de psychologie et de psychiatrie sans jugement, sans tomber aussi dans des clichés simples. On sent toutefois que les regards sont bien différents en dehors de l’unité dans laquelle il exerce, que ces mères sont maltraitées, mais dans l’unité spécialisée, on prend soin d’elles, et on voit que c’est essentiel. J’ai donc beaucoup aimé découvrir cet univers, et je ne comprends même pas comment cela ne peut pas être la norme, voire obligatoire, justement pour apprendre à s’occuper de son enfant. L’autrice se base sur de l’existent, et j’avoue que c’est un domaine très intéressant qui doit être développé. Les mamans ne devraient pas être lâchées dans la nature comme elles le sont, et cela nous fend le cœur de voir jusqu’où certaines vont parce qu’elles ne sont pas suivies convenablement. Cela permet aussi de faire une critique de la gestion de l’hôpital, qui devient maltraitant alors que tout le monde essaye de faire de son mieux. Mais l’autre thème essentiel de ce titre, c’est la place de la parole des victimes. Betty est une victime qui n’a pas été écoutée, qui a été ignorée, et qui continue à l’être. Elle se protège à sa manière, mais cela n’est plus suffisant. Ce roman parle alors de toutes celles qui sont obligées de continuer à vivre sans qu’on les écoute, qu’on les prenne au sérieux, et on se rend compte à quel point la parole des femmes est marginalisée, peu prise en compte. Ce roman a donc des thèmes puissants, forts, qui nous remuent et nous poussent à nous remettre en question, à repenser la société aussi.

On ne croit pas les victime.

On n’a pas envie de les entendre.

Elles exagèrent, vraiment !

On voudrait minimiser leur plainte.

Majorer leur responsabilité.

Peut-être qu’elles y sont pour quelque chose ?

Peut-être même qu’elle l’ont bien cherché… Allez savoir !

On les blâme de s’être tues autant que de ne plus se taire.

Est-ce qu’elles se rendent compte des effets de leur parole ?

De telles accusations ! Où sont les preuves ?

Une catastrophe pour l’ordre établi.

Une catastrophe pour l’autre, l’agresseur présumé.

Présumé innocent.

C’est lui, la victime !

Est-ce qu’on veut vraiment détruire sa vie ?

Peut-être qu’on se trompe ? Qu’on interprète ?

Peut-être même qu’on y a pris du plaisir… Allez savoir !

On ne croit pas les victimes.

On préfère n’en rien savoir.

Conserver l’illusion d’un monde juste et protecteur.

Qu’elles se risquent à parler et c’est trop tard.

Quand ce n’est pas trop tôt.

Qu’adviendra-t-il si les voiles tombaient ?

Ne rien savoir, c’est défensif et profondément humain.

Voilà ce que tu retiens de votre échange improvisé.

Venons-en à présent à l’écriture de ce roman. Celle-ci est très fluide, et j’ai eu beaucoup de mal à lâcher ce roman. En effet, les chapitres s’enchaînent très bien, et on est tout de suite happé par le suspens et par la fragilité de Betty, puisqu’on est immédiatement jeté dans l’histoire. Le suspens est bien dosé, même si on devine, à mon sens, assez vite ce qui a pu arriver à Betty, et qui se cache derrière le coupable, ou du moins, en avoir une idée. Mais le roman nous happe vraiment, et même si certains faits sont devinables, on veut avoir le fin mot de l’histoire, savoir comment Betty va s’en sortir, et on attend les retournements de dernière minute. Tout est aussi raconté avec douceur, sans trop s’épancher ou sans plainte, et c’est ce qui fait qu’on s’attache à Betty et aux autres mères, et qu’on plaint les victimes. J’ai vraiment apprécié, aussi, la narration à la deuxième personne du singulier, donc avec le « tu ». Je pensais que cela serait déstabilisant, mais pas du tout, et cela apporte un autre charme au roman.

En résumé, c’est pour moi un gros coup de cœur, le premier de l’été. Je me suis beaucoup attachée à Betty, mais aussi à Charlotte, à Madeline et au docteur Lorrain. J’ai aimé suivre ce thriller psychologique où l’on se demande si Betty est simplement paranoïaque ou si elle est vraiment en danger, et ce qui a bien pu provoquer ce dernier. J’ai apprécié qu’on nous parle de l’hôpital et de ses problèmes, mais aussi de ces difficultés à être mère et à se nouer avec son enfant, ou le manque de considération qu’on donne à la parole des victimes. C’est un très bon roman, qui se lit bien, et qui a une écriture originale. J’ai vraiment pris plaisir à dévorer ce livre que j’ai lu en deux jours, et je ne peux donc que vous en conseiller sa lecture.

Et vous ?

Cela vous arrive-t-il de lire des romans écrits à la 2e personne du singulier ?

Est-ce que cela vous perturbe-t-il ?

Préférez-vous ceux écrit à la 1er ou à la 3e personne ?

Bon mercredi à tous 😀

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