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Un enfant à tout prix

Bonjour tout le monde. J’espère que vous allez tous bien et que vous avez passé un agréable début de semaine. Ici, ce dernier est pour le moment marqué encore par les vacances, mais la rentrée commence tout doucement à s’organiser. Je suis très occupée avec la préparation de mes cours, que je modifie par rapport à l’année dernière, et j’essaye de préparer aussi des chroniques en amont sur le blog, au cas où, si tout se passe bien, je n’ai pas trop le temps de m’occuper de ce dernier. Je vous prépare donc quelques surprises pour la rentrée. Et j’essaye de lire aussi beaucoup.

En parlant de lecture, je reviens justement vers vous aujourd’hui pour vous parler de l’une de mes dernières lectures. Il y en a eut beaucoup ces derniers jours, je l’avoue, mais c’est sur le roman contemporain, à quelques décennies près, que j’ai envie de vous parler aujourd’hui. Il s’agit du roman Un enfant à tout prix, écrit par Pascale Rault-Delmas et publié aux éditions Charleston en juillet 2020. Je remercie d’ailleurs les éditions Charleston ainsi que Gilles Paris de m’avoir fait découvrir ce titre reçu après le confinement. Voici son résumé :

Hôtesse sur le Concorde, Isabelle est libre comme l’air, volant de pays exotiques en amants de passage. Lorsqu’elle rencontre le bel Andrew sur un Paris-New York, elle pense avoir enfin trouvé l’homme de sa vie. Au point d’essayer de lui faire un enfant, puisqu’il en rêve.

Mais alors que le désir de maternité s’éveille peu à peu en elle, sa relation avec Andrew se dégrade. Si seulement elle arrivait à tomber enceinte, cela résoudrait tout, mais son corps s’y refuse. Il lui faudrait un enfant. Un enfant à tout prix…

Dans cette histoire, nous suivons plusieurs personnages. Isabelle peut être considérée comme étant le personnage principal, puisque c’est elle que nous suivons le plus, mais il y a aussi Andrew, son petit ami, qui tient une place importante dans ce récit, ainsi que le couple Agnès et d’Antoine, où leurs vies vont se mêler à celles d’Isabelle et d’Andrew. Il y a aussi celle de Julie, de Kim, de Carole et d’Elise qui auront un grand impact sur ce récit. Isabelle ne veut pas d’enfants, jusqu’à ce qu’elle tombe amoureuse d’Andrew et que ce dernier ne devienne obsédé par les bébés et sa descendance. Agnès et Antoine essayent depuis des années d’avoir un enfant, sans succès. Kim est indienne et ne peut garder son enfant. Quand à Carole, hors de question pour elle, à dix-huit ans, de devenir mère. Etape par étape, c’est la vie des femmes et des enfants qui se construit ici, sous les yeux hagards et malheureux des hommes.

Je vais commencer, non pas par vous parler d’Isabelle, mais plutôt par vous parler du personnage d’Agnès. En effet, Agnès m’a beaucoup émue dans sa détresse. Agnès fait partie de ces femmes qui ne conçoivent pas leur vie sans un enfant, sans une grossesse. Cependant, son ventre demeure vide. Pour mieux comprendre, elle fait de nombreux examens. Nous sommes alors dans les années 1980, la science et la médecine balbutient encore, et même si Amandine, le premier « bébé-éprouvette » est né, les traitements pour la fécondité ou la PMA n’en sont qu’à leurs débuts. Agnès place beaucoup d’espoirs dans la médecine, voire trop. Elle se détruit par son désir d’enfant. On ne peut donc n’être que touché par sa force, celle qui fait qu’elle continue malgré tout à se battre contre la nature, contre le système qui fait qu’elle ne peut pas avoir son enfant, et aussi par toute la détresse que sa situation engendre. On la prend en pitié parce qu’on veut l’aider, parce que’on veut qu’elle atteigne enfin son but. C’est un personnage émouvant car elle reflète la souffrance de plusieurs femmes de part le monde, celles qui attendent désespérément que leurs ventres grossissent, qu’un enfant vienne s’y installer. On est déçu avec elle lorsque cela échoue, et je pense même que l’on ressent parfaitement tout son désespoir, sa souffrance, d’une manière presque viscérale, comme si cela nous arrivait à nous. C’est un personnage qui va passer par beaucoup de tragédies, et c’est vraiment le personnage qui m’a le plus émue et touchée dans ce récit tant on aimerait que tout se passe bien pour elle. On la voit perdre goût à la vie pendant une bonne partie du roman, et cela ne peut donc que nous attendrir. La relation qu’elle a avec Antoine est magnifique, et on sent tout l’amour qui les unit. On rêve tous d’avoir notre Antoine, même si l’obsession d’Agnès finit par leur faire beaucoup de mal. Néanmoins, cette obsession est compréhensible, parce qu’Agnès rêve vraiment de cet enfant, et qu’elle a beaucoup d’amour à donner. On le sent tout de suite, dès qu’elle apparaît. C’est une personne très généreuse, et c’est aussi pour cela que l’on s’attache à elle. L’épilogue n’en est alors que plus brutal, grâce à cet attachement que l’on a pour elle.

– Antoine ! vous avez déjà perdu dix ans de votre vie, tu veux continuer jusqu’où comme ça ? Si on n’arrive as à les avoir au téléphone, vous allez leur écrire. La lettre va mettre des semaines à arriver, le temps qu’ils y répondent, il va encore s’écouler des semaines aussi, si toutefois ils le font car tu sais un peu comment ça se passe avec ces agences. Une fois que les enfants ont quitté le pays, ciao ! Et pendant ce temps-là, vous allez continuer à mettre votre vie entre parenthèse, à espérer, à souffrir… et à vieillir. Parce que je ne veux pas te faire de peine, mais vous avez pris un sacré coup de vieux avec ces histoires. Je pense vraiment, et c’est l’ami de longue date qui te parle, qu’il est temps que vous passiez à autre chose. Je vous aime trop tous les deux pour vous laissez encore vous détruire.

– Agnès n’acceptera jamais de renoncer !*- On n’a qu’à lui dire que k’agence était bidon. On en a entendu des scandales là-dessus. Que vous vous êtes fait avoir, et qe Julie n’existe pas.

– Je ne pourrai jamais lui dire une chose pareille.

– Qui sait si ce n’est pas la vérité ?

Antoine ne répondit pas. Même s’il ne voulait pas l’admettre, il savait que son ami avait raison. Ils avaient quarante-deux ans, ils étaient au bout du rouleau.

Venons-en à présent au personnage d’Isabelle. J’avoue être un peu plus mitigée sur elle, même si je me suis complètement retrouvée en elle. En effet, Isabelle ne compte pas avoir d’enfants. Sa passion, c’est son travail en tant qu’hôtesse de l’air, et elle ne conçoit pas de se poser pour s’occuper d’un nourrisson. Mais tout cela, c’était avant qu’elle ne rencontre Andrew, et surtout avant que ce dernier ne décide d’avoir absolument n enfant avec elle. Or, Isabelle se découvre stérile. Elle suit alors le même parcours du combattant qu’Agnès, et c’est d’ailleurs ainsi que les deux femmes vont se rencontrer. Seulement, Isabelle n’a pas la même force de caractère qu’Agnès, et Andrew lui met rapidement la pression. Il est alors certain que leur relation est beaucoup moins belle que celle d’Antoine et d’Agnès, et que la leur va s’abîmer irrémédiablement dans ce combat. Isabelle prend la fuite, et je dois avouer que c’était sa meilleure idée. Toutefois, le désir de maternité née à ce moment-là ne s’en va pas, et c’est à partir de là qu’Isabelle commence à faire des choix douteux, jusqu’à l’irréparable. On peut alors nettement interroger sa moralité, et surtout le choix qu’elle fait, qui va avoir de terribles répercussions. Et pourtant, en refermant le livre, je me suis interrogée sur son acte, et j’aurais sans doute fait la même chose. Alors, peut-être que j’aurais appelé la police, mais finalement, est-ce que son acte est si blâmable que cela ? Isabelle pense bien agir, et jusqu’au bout, c’est ce qui la motive. En vérité, le personnage d’Isabelle est beaucoup plus complexe que celui d’Agnès, et avec plus de zones d’ombres aussi. Et c’est ce qui fait que l’on s’attache ou non à elle. Elle montre aussi que tout n’est pas noir ou blanc, et certaines actions, pourtant anodines, peuvent avoir de très lourdes conséquences. Isabelle a beaucoup de remords après, et c’est ce qui la rend humaine. Elle n’a juste pas conscience de ses actes, et c’est ce qui la rend crédible. Avec le recul, c’est un personnage que j’ai apprécié, même si pendant certains passages, je ne la comprenais pas.

– Aujourd’hui, on n’accepte plus la fatalité : on veut un enfant à tout prix. Il y a des couples qui sacrifient des années de leur vie pour essayer d’en mettre un au monde, et bien souvent, malgré tous leurs efforts, cela ne marche pas. Alors, quand il y a plus d’espoir, certains finissent pas se tourner vers l’adoption. Tu ne crois pas qu’ils auraient mieux fait de commencer par là, au lieu de s’obstiner comme on est en train de le faire ? il y a tellement d’enfants abandonnés sur cette terre !

Andrew se leva brutalement en renversant son verre, colorant le parquet du grand cru qu’il avait débouché plus tôt.

– Tu crois que je ne te vois pas venir, avec tes histoires d’adoption ? Il n’en est pas question, tu entends ? Ce n’est pas mon problème s’il y a des gosses abandonnés, et je suis encore capable de faire un enfant moi-même, sans qu’on avoir besoin de récupérer celui des autres !

Abasourdie par la violence de ses propos, Isabelle resta figée.

En ce qui concerne l’histoire, je n’ai pas compris au début pourquoi l’autrice avait souhaité la situer dans les années 80 et non pas directement en 2020, afin de montrer le parcours du combattant de ses femmes qui se lancent dan la PMA. Mais en vérité, l’intérêt de cette date est de montrer l’espoir que ces femmes, comme Agnès ou Isabelle, avaient envers la médecine et ses avancées, ainsi que le fait qu’on ignorait encore des choses sur la fertilité, comme le fait qu’une hôtesse de l’air avait un cycle complètement déréglé, ou que les hommes étaient moins investis dans cette charge, que la stérilité était vraiment une affaire de femmes. On a aussi toute une réflexion sur l’adoption à l’étranger et sur son fonctionnement, et il est certain que ce qui arrive au cours du roman ne serait plus possible aujourd’hui. Cela m’a d’ailleurs atterré de voir comment les enfants étaient des marchandises à l’époque, et Isabelle s’en rend bien compte. L’histoire de Kim est d’ailleurs assez poignante, et l’on aurait aimé en savoir plus, surtout dans l’épilogue, car ce passage est finalement trop court. En tout cas, j’ai appris des choses avec cette histoire, notamment le rôle de ces hôtesses et associations qui convoient les bébés à bord des avions sans aucune protection juridique, sans lien avec les parents. On sent alors que le cadre légal est encore flou et qu’il se construit peu à peu, que l’adoption est alors quelque chose qui se développe à toute vitesse sans penser aux biens des enfants. J‘ai trouvé toute cette partie très intéressante. On a aussi dans ce roman toute une réflexion sur le ressenti des femmes qui sont en mal d’enfants, celles qui ne peuvent pas enfanter normalement, et qui se sentent en marge de la société à cause de cela, ainsi que sur celles qui agissent d’une autre manière. On a donc Isabelle, avec qui ce désir arrive tard, et qui ne sait pas comment le régler à cause de sa stérilité, puis Agnès, qui se détruit pour se désir d’enfant, puis Armelle, qui tombe enceinte assez facilement apparemment, et les parents d’Isabelle, qui ont un passif avec les enfants. Ainsi, chacun gère ce désir à sa manière. Ce qui est intéressant, c’est qu’on exclut finalement pas les hommes, avec Andrew, qui met la pression à Isabelle pour être père, et Antoine, qui finit lui aussi par être consumé par le désir de sa femme. Je trouve donc que c’est un roman très intéressant sur la place de la maternité dans la société, et qu’on a ici presque toutes les cas de figure possible face à cette question. Cela permet à chacun de s’interroger sur son propre rapport à la maternité, quelle quelle soit.

Il régnait à présent dans la pièce un silence oppressant. Antoine, les yeux rougis, fixait son assiette et isabelle, emplie de honte, avait perdu toute sa belle assurance. Soudain, elle pensa au bébé qui dormait là-haut au milieu d’un lit d’adulte, alors que dans la pièce à côté, elle en état sûre, il y avait une belle chambre d’enfant aménagée avec amour. Julie n’avait rien demandé à personne. Ils l’avaient arrachée à son pays sans s’interroger sur le traumatisme que ce déracinement aurait peut-être provoqué plus tard ; ils l’avaient voulue, elle ou un autre, peu importait finalement, puisque c’était juste pour satisfaire leur envie, d’avoir un enfant à tout prix. L’important aujourd’hui, ce n’était pas Isabelle, ni Antoine, ni même Agnès : c’était elle.

En ce qui concerne l’écriture de ce roman, elle est très fluide, et le roman se lit très bien. D’ailleurs, je l’ai dévoré en une journée. On a envie de savoir comment tout cela va se passer, comment cela va se terminer pour Agnès et pour Isabelle, si elles vont finir par avoir leurs bébés ou non. Le titre prend tout son sens avec les sacrifices qui sont faits de part et d’autres par les personnages pendant la lecture. On sent en effet qu’ils sont prêts à tout pour avoir un enfant, et n’importe quel enfant finalement. Le début du roman peut être déroutant; avec la rencontre entre Andrew et Isabelle, et peut même sembler inutile, mais je trouve au contraire qu’elle permet de mettre en évidence la manière dont fonctionne leur couple, ainsi que le désir de liberté cher à Isabelle au début, ce qui explique son non envie d’avoir des enfants. L’histoire du secret de famille peut aussi surprendre, mais finalement, c’est ce qui va déclencher toute l’histoire. Chaque étape est donc nécessaire dans ce récit, et même si parfois on peut être perdu dans ces étapes ou dans les dates, je pense qu’elles sont toutes importantes pour la construction du récit. Elles permettent de mieux comprendre les motivations de chacun et pourquoi on en arrive à un tel épilogue. Ce dernier peut nous laisser sur notre faim, mais cela ne m’a pas dérangée. J’ai apprécié la relation qui se noue entre Agnès et Isabelle, et le fait que chaque personne fait des choix étranges, mais finalement crédibles. Le manque d’une certaine moralité pour certains s’expliquent parfaitement et rend l’histoire particulière. Rien n’est tout blanc ou tout noir, et le désir d’enfant l’emporte finalement sur tout. Cependant, l’obsession est ici bien traitée, et elle n’est pas aussi présente que l’on pourrait s’y attendre. je l’ai même trouvé plutôt secondaire face à tout ce qui arrive.

En résumé, c’est un bon roman que je vous conseille. J’ai dans l’ensemble aimé les personnages, et je salue l’évolution d’Andrew qui était nécessaire. J’ai adoré Agnès qui m’a beaucoup touchée, et j’ai compris les motivations d’Isabelle dans ce qu’elle fait, même si cela peut sembler non moral et que ses actons peuvent poser problèmes à certains. J’ai aimé la force des deux héroïnes, mais aussi la faiblesse des couples. Le roman propose toute une réflexion intéressante sur la maternité et le désir d’enfants, et l’autrice a fait beaucoup de recherches sur la stérilité et l’adoption. Le roman est donc bien documenté et l’on peut s’interroger sur ses ressources, médicales ou autres, qui font qu’on peut avoir un enfant à tout prix. C’est un roman à lire. et qui permet de se questionner sur notre rapport à la maternité.

Et vous ?

Aimez-vous les romans qui permettent une réflexion ?

Où les personnages commettent des actes étranges, voire répréhensibles ?

Appréciez-vous lorsque les personnages sont complexes, qu’ils ne soient pas tout blanc ou tout noir ?

Bon mercredi à tous 😀

Une réflexion au sujet de « Un enfant à tout prix »

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