chroniques littéraires

La Constance du Prédateur

Bonjour les amis. J’espère que vous allez tous bien et que vous passez un agréable weekend. Pour ma part, je dirais qu’il va beaucoup trop vite, et que ce serait bien qu’on ait un jour de plus pour pouvoir vraiment en profiter. Bon, je dis cela, mais j’ai tout de même mon vendredi après-midi, même si ce dernier passe toujours trop vite, à cause du temps que je prends pour rentrer chez moi en transport en commun. J’ai vraiment hâte de déménager et de me trouver plus prêt de mon travail.

En tout cas, aujourd’hui, je reviens vers vous sur le blog afin de partager avec vous l’une de mes dernières lectures, un roman qui m’a prise aux tripes et qui m’a occupée pendant plusieurs semaines. Si vous suivez un peu mon rendez-vous hebdomadaire, le fameux C’est Lundi, que Lisez-vous, vous avez peut-être une idée de ce roman. Il s’agit du dernier titre de Maxime Chattam, intitulé La Constance du Prédateur. C’est un roman policier sorti en novembre 2022 aux éditions Albin Michel. Voici son résumé :

Ils l’ont surnommé Charon, le passeur des morts. De son mode opératoire, on ignore tout, sauf sa signature singulière : une tête d’oiseau. Il n’a jamais été identifié, malgré le nombre considérable de victimes qu’il a laissées derrière lui. Jusqu’à ce que ses crimes resurgissent du passé, dans les profondeurs d’une mine abandonnée.

Dans ce roman, qui est assez singulier, on suit Ludivine Vancker, le personnage de gendarme déjà utilisé par l’auteur dans d’autres de ces roman. Cette fois, la jeune femme est entrée à la brigade des sciences du comportement, devenue profiler. Et sa première enquête va être assez particulière. Ludivine et son équipe découvrent un charnier dans une mine, avec plusieurs femmes mortes de manière violente. Bien déterminée à comprendre comment ces femmes sont arrivées ici, Ludivine va devoir affronter d’autres cadavres et visiter le nord et la région de Bordeaux, pour appréhender un homme que le temps n’arrête pas, qui traverse les siècles.

Je vais commencer cette chronique par vous parler de l’histoire en elle-même. On pourrait croire que nous sommes ici sur un roman policier un peu standard, un peu à l’américaine, avec un tueur en série insaisissable, qu’on ne parvient pas à attraper, même avec nos nouvelles technologies, et que seule une étude de son comportement peut permettre d’appréhender. Certes, il y a un peu de cela ici, et j’avoue que lorsqu’on se remémore notre lecture, on peut avoir l’impression de retrouver des similitudes entre ce roman et la série Criminal Mind, qui suivait aussi des profilers. La différence étant que nous sommes bien en France, et non pas aux Etats-Unis. Mais, même si on constate cette similitude, je trouve cela réducteur de ne voir ici que l’aspect de l’étude du comportement d’un suspect. Bien entendu, la nouvelle affectation de Ludivine est au cœur de cette enquête, et elle doit apprendre à utiliser d’une autre manière ses ressources dans la gendarmerie, mais je dirais qu’on a un autre thème qui est bien plus essentiel dans ce roman, c’est celui des monstres. J’ai lu plusieurs autres romans de l’auteur, dans le cadre de ce qu’il écrit dans l’horreur, et ici, nous avons une similitude avec ces autres écrits, dans le sens où ce qui l’intéresse, c’est dévoiler les ténèbres. Et ici, dans ce roman en particulier, on s’attarde surtout sur comment naissent les monstres, donc les tueurs en série. Qu’est-ce qui fait qu’un homme devient un tueur ? Quel est le mécanisme qui se trouve à son origine ? Ce sont des questions qui sont à l’œuvre ici, et j’ai vraiment trouvé cela intéressant, car on parle aussi bien de l’inné que de l’acquis. Comme le met l’auteur dans les remerciements, il cherche à comprendre le mécanisme à l’œuvre, et donc si on peut façonner entièrement un monstre. C’est vraiment bien fait, et j’ai apprécié les questions posées tout au long du roman, qui montre aussi à quel point les enfants doivent être protégés, et à quel point beaucoup d’adultes échouent dans ce mécanisme. Le fait qu’on soit ici sur plusieurs générations est aussi intéressant, car cela montre comment les adultes se pervertissent entre eux, puis détruisent leur entourage. On a alors une vraie plongée dans l’enfer qui est intéressante à suivre, un cheminement dans l’intime assez glauque, mais qui doit rester à surveiller pour qu’il ne soit que fictif. Enfin, on plonge aussi dans les limites de l’humain, dans celles de Ludivine, mais pas seulement, et c’est, là encore, intéressant à voir, car on voit comment il est facile de se laisser dépasser et craquer, comment l’esprit est, finalement, qu’un rouage simple à briser.

En matière de monstres, Ludivine en connaissait un rayon. Sous toutes leurs formes. Des plus abominables à ceux dont le sourire pouvait endormir la méfiance, les pires. Elle les avait décortiqués, explorés sous toutes les coutures, si nombreuses, témoignages des blessures sauvages que la plupart avaient subies durant leur enfance. On ne naît pas monstre, on le devient. La cruauté est le virus de l’humanité, hautement contagieux, surtout sur les tendres psychés en construction. Elle brise pour mieux s’implanter, à coup de dégâts irréversibles. Elle détruit et remplace, semblable à un programme informatique, sans états d’âme, sans hésitation, implacable. De toute évidence, les traitements inhumains corrompent l’essence de la victime, grattent la coquille fragile de toute matière souple, la curent, la nettoient, et remplacent le vide par ce qu’elle est elle-même : de l’inhumanité. Les monstres naissent dans l’enfance.

Là-dessus, Ludivine avait cependant un doute; N’y avait-il pas quelques exemples de pervers absolus qui n’avaient pas nécessairement eu une enfance infernale ? N’y avait-il pas quelques uns de ces démons qui, dès leur plus jeune âge, avaient eu des comportements tendancieux, voire même carrément déviants ? Si. Ludivine en avait croisé même. Comme si le Mal était né avec eux, implanté dans leurs fibres, se déployant avec chaque muscle, chaque os, chaque parcelle du cortex qui grandissait… Ils étaient rares, mais ils existaient, au point d’ouvrir à une autre hypothèse. Après tout, il fallait bien que la cruauté ait émergé de quelque part pour qu’elle commence à se transmettre.

J’en arrive à présent au personnage de Ludivine. Il s’agit du premier ouvrage de l’auteur que je lis et qui la concerne. J’ai trouvé que cela n’était pas un problème, car on a plusieurs explications, au cours de l’ouvrage, qui nous expliquent ce qui a pu lui arriver dans les tomes précédents. Mais même en ignorant ces éléments, j’ai trouvé qu’on s’attachait facilement à elle. En effet, dès le début, on comprend que Ludivine a un rapport particulier avec son travail, une relation étrange, où elle l’adore, mais où elle est aussi détruite par lui. Le fait de se mettre à la place des plus dangereux criminels la détruit à petit feu, fait entrer les ténèbres en elle, et elle doit tout faire pour les maintenir à distance. Or, en moment de doute, c’est beaucoup plus compliqué, et Ludivine a encore du mal à gérer les émotions qui sont à fleur de peau. Elle s’est barricadée pendant des années pour les éviter, ce qui n’est plus le cas, et parfois, elle peut se laisser submerger par elles. C’est d’ailleurs ce qui va arriver au cours de l’enquête. J’ai trouvé cela intéressant, car cela lui rappelle qu’elle est humaine, et donc faillible. Comme tout le monde, elle peut se tromper, et elle en a le droit, même si cela peut aussi avoir des conséquences sur les autres. Dans une affaire comme celle-ci, toutes les pistes comptent. Par contre, Ludivine a aussi tendance à se précipiter, et cela va lui jouer des tours. On est donc déçu pour elle lorsque les choses ne se déroulent pas comme elle le souhaitait. Mais c’est ce qui la rend plus forte, même si elle ne s’en rend pas compte. En tout cas, j’ai apprécié son personnage, et j’ai envie de lire d’autres ouvrages avec elle, afin justement de voir cette évolution. Et j’ai vraiment aimé le fait qu’elle se mette ainsi à la place des meurtriers, mais aussi des victimes, et qu’elle se montre aussi obstinée à l’idée de sauver l’une des victimes.

Elle repensa à la photo de Chloé Maignan et sa famille, qu’elle avait dans son portefeuille. Elle ne l’avait pas prise pour s’en servir pour l’enquête, mais uniquement pour elle. Pour se prouver qu’elle prenait les choses à coeur. Qu’elle allait sauver cette femme. Et parce qu’elle tenait à la garder près d’elle. Un message. D’une femme à une autre. Par sororité.

D’une victime à une autre, s’avoua-t-elle.

Face à son silence, de Juillast se mordit les lèvres. Il posa une main sur l’épaule de Ludivine.

– Si vous vous faites dévorer par votre enquête, non seulement vous ne nous servirez à rien, vous ne sauverez personne, mais pire, vous allez vous détruire, dit-il avec une certaine douceur.

Parlons maintenant des personnages secondaires. J’avoue qu’il y en a beaucoup, et comme je ne connaissais pas l’ancienne équipe de Ludivine, qu’on retrouve tout de même ici, je suis restée un peu en retrait sur les personnages secondaires. J’ai eu du mal à savoir qui était qui, et à part certains noms qui revenaient plus souvent, je n’ai pas vraiment eu d’attaches pour eux. Cela est un peu frustrant, car j’aurais aimé les connaître davantage, mais je pense que, pour cela, je devrais lire les autres ouvrages où ils apparaissent. J’ai toutefois apprécié le personnage de Lucie Torrens, qui est donc introduit dans cette nouvelle histoire. Elle est la nouvelle supérieure de Ludivine, et j’ai aimé la manière dont elle va s’occuper d’elle, en lui apprenant certaines choses, en lui rappelant aussi de relativiser, et en lui rappelant que les erreurs sont humaines. Lucie est quelqu’un de beaucoup plus calme et rationnelle que Ludivine, sans doute l’expérience, et même si elle meurt d’envie elle aussi de retrouver leur dernière victime vivante, elle se met moins la pression que ne le fait Ludivine, ce qui lui permet de garder les idées claires. J’ai beaucoup aimé la manière dont elles interagissent toutes les deux. On sent immédiatement une certaine complicité naturelle. Pour ce qui est du tueur, on éprouve tout de même une certaine sympathie pour lui, lorsqu’on comprend ce qu’il a enduré. Mais cette sympathie s’efface aussi face à ce qu’il fait endurer à la dernière victime, et face à tous les crimes qu’on sait être de lui. Les personnages sont alors bien construits.

Torrens croisa les jambes devant elle et se pencha vers Ludivine :

– Balancez-moi tout ce que vous pensez. Sans filtre, même le banal, je veux un échange, un ping-pong entre nos impressions. On sort du protocole du DSC. Grossissez le trait si besoin, n’ayez pas peur d’aller trop loin, je veux votre feeling, quitte à surinterprétez, on corrigera avec le temps et les faits qui nous seront donnés.

Ludivine prit une profonde inspiration afin d’organiser ses idées, elle manquait clairement de données pour démarrer le moindre profil cohérent.

– Là, sans rien savoir de plus c’est assez…

– Je ne vous demande pas du concret, rien que du ressenti, toutes spéculations autorisées, lâchez-vous.

Pour ce qui est de l’écriture de ce roman, j’avoue que j’ai mis longtemps pour le lire. C’est un gros pavé, et même si j’ai accroché immédiatement à l’histoire, il m’a fallu du temps pour en venir à bout. L’avantage, c’est que je pense que cela m’a aidé à prendre du recul par rapport à cette dernière, car sinon, il faut reconnaître qu’elle est assez sombre, et qu’elle peut affecter certains lecteurs qui voudraient la lire d’une seule traite. Mais il y a de la pression, j’ai apprécié le suspens posé, aussi bien pour deviner qui est le tueur que de savoir si notre dernière victime va survivre ou non. L’écriture du roman est fluide et immersive, et on sent que l’auteur s’est beaucoup documenté pour écrire ce roman. C’est alors assez intéressant de se plonger dans la psyché des personnages, que ce soit celle de Ludivine ou celle du tueur. On apprend beaucoup avec cette histoire, et c’est un plaisir de la lire.

En résumé, c’est une lecture que j’ai appréciée. Certes, elle est assez glauque, mais j’ai aimé les questions qu’elle nous force à nous pousser sur la construction de chacun, sur ce qui fait des monstres ou non. Les personnages sont plaisants à découvrir, et je me suis attachée à celui de Ludivine, que j’ai vraiment aimé suivre. Je pense lire les autres romans de l’auteur avec elle. Les personnages secondaires sont nombreux, mais j’ai apprécié celui de Lucie Torrens. C’est une belle lecture, bien documentée, fluide, avec beaucoup de suspens, et je vous la recommande si vous aimez les romans policiers.

Et vous ?

Qu’aimez-vous retrouver dans les romans policiers ?

Quelles sont les histoires qui vous touchent le plus ?

Etes-vous plutôt romans policiers français ou étrangers ?

Bon dimanche à tous 🙂

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