mes écrits

Bulle, épisode 15

Bonjour tout le monde. j’espère que vous allez tous bien et que vous avez passé une agréable rentrée. J’espère aussi que votre semaine se déroule bien, et que la rentrée n’a pas été trop compliquée pur vous, notamment pour tous ceux qui ont des enfants qui ont repris le chemin de l’école et qui craignent le rebond de l’épidémie. Ici, j’entame ma première vraie journée de cours, et je suis à la fois totalement stressée, mais aussi impatiente.

Nous sommes néanmoins jeudi et c’est donc le moment de retrouver Bulle. Elle n’a pas la chance de pouvoir aller au lycée, et je vous rappelle que nos l’avions laissée en bien mauvaise posture la semaine dernière. C’est donc enfin le moment de la retrouver, et de savoir ce qui va advenir d’elle. Nous entamons le chapitre 15, et je remercie tous ceux qui continuent à se plonger ans cette histoire semaine après semaine. Merci de votre fidélité. Et je vous laisse à présent avec Bulle.

Voici l’épisode 15 :

15 — L’interrogatoire

« Quand Bulle émergea des ténèbres dans lesquelles elle était enfermée, elle eut bien du mal à reconstituer les pièces du puzzle des derniers jours. Tout lui semblait irréel, bien plus que lorsqu’elle s’était réveillée sur le navire de Maxime. La nausée était plus forte, mais le pire, c’était toutes les douleurs qui lui vrillaient le corps et qui remontaient jusque dans son crâne. Tout lui revenait par bribes, par flash, si bien qu’elle avait le sentiment de ne pas réussir à recréer une chronologie cohérente. Elle se souvenait bien d’être partie de chez elle, d’avoir rencontré Jonathan, puis Camille, puis Maxime, d’avoir vu la mer, et d’avoir été capturée. Mais les événements se mélangeaient, et elle ignorait depuis combien de temps elle pourrissait dans ce qui ressemblait à une cellule. Dans l’endroit où elle avait été jetée après avoir quitté l’hélicoptère, il n’y avait aucune fenêtre, rien qui puisse lui indiquer le moment de la journée, ou même la saison dans laquelle elle se trouvait. Tout était blanc à en faire mal aux yeux, si bien que parfois, elle se demandait si elle n’avait pas échoué dans un hôpital. Tout cela aurait été plausible, elle avait effectué une multitude d’examens depuis qu’elle était là, ce qui lui avait donné l’impression d’être un cobaye. Elle avait été droguée, auscultée, pucée, et autre chose encore dont elle ne se souvenait pas. Tout était confus dans son esprit. Par moment, elle se demandait même s’il n’aurait pas été préférable qu’elle prenne une balle, elle aussi, et qu’elle trépasse comme Maxime. Pendant certains instants, elle appelait la mort de toutes ses forces, afin que son calvaire se termine.

Elle évitait de penser à Maxime, abandonné sur son navire, surement à présent au fond de l’eau. Elle avait l’odeur de son sang inscrit au fer rouge dans son esprit, tout comme le bruit mat de son corps lorsqu’il était tombé sur le bois du voilier, l’air hagard. Elle se souvenait de son liquide vital souillant sa combinaison d’apiculteur, imbibant ensuite le bateau. Elle regrettait de ne rien avoir pu faire pour le sauver. Il l’avait aidé, avait essayé de la protéger, et elle n’avait pas pris le temps de le connaître vraiment, d’empêcher son trépas. Elle s’en voulait, culpabilisait d’être aussi frêle et ne pas être une combattante. Mais comment le serait-elle devenue, enfermée dans son appartement, pensant que le monde qui l’environnait se limiterait toujours à ces quatre murs ?

Songer à Maxime lui évitait de faire resurgir le souvenir de Jonathan. Elle ignorait ce qu’il était advenu de son compagnon de route. Ils avaient été emportés dans des hélicoptères différents, de cela elle en était certaine. Les militaires avaient souhaité les séparer. Et depuis qu’elle était emprisonnée, elle avait eu beau l’appeler lorsqu’elle était réveillée, ou même regarder tout autour d’elle quand ils la manipulaient, elle ne l’avait pas revu. Était-il mort ? Elle croisait les doigts pour que ce ne soit pas le cas. Elle ne voulait pas avoir son décès sur la conscience. C’était déjà dur de se dire qu’ils se trouvaient dans cette situation par sa faute, parce qu’elle avait été inséminée et parce qu’elle avait voulu se séparer de l’embryon qui grossissait dans son ventre. Si elle avait désiré garder l’enfant, en seraient-ils au même point aujourd’hui ? Elle était sûre du contraire, et pensait qu’ils seraient encore dans le centre commercial investi par les rebelles, à s’occuper de choses et d’autres. D’ailleurs, ces derniers étaient-ils au courant qu’ils avaient été capturés ? Camille allait-iel envoyer quelqu’un les sauver ? Où le chef de la révolte se moquait-il de savoir que sa nouvelle recrue était enfermée dans une prison gouvernementale ? À tous les coups, c’était le sort que Jonathan qui l’occupait, ce qui était bien normal. Le garçon était précieux. Sa possible immunité le rendait important aux yeux des deux camps.

Bulle serra fermement les poings. La colère battait dans ses veines, dans son corps. L’État lui avait décidément tout pris. Non seulement on lui avait retiré sa grand-mère, emportée parce que jugée trop vielle, mais elle avait aussi perdu sa mère et le reste de sa famille, la traitant comme une traître à son propre pays. Et maintenant, c’était les rebelles qui ne viendraient pas la chercher, et Jonathan qui ne pourrait plus la protéger. Elle était totalement seule désormais, et elle ne pouvait compter que sur elle-même.

Au début, cette constatation l’avait plongée dans un profond abime de désespoir. Elle s’était réfugiée, en boule, sur la couchette qui meublait sa cellule, et elle avait souhaité mourir. Elle s’était dit qu’ainsi, elle pourrait rejoindre sa grand-mère adorée, son grand-père, et tous ses ancêtres. Peut-être même pourrait-elle avoir plus d’informations sur l’homme qui avait donné son sperme pour qu’elle puisse naître. Jusqu’ici, cette idée d’avoir un père ne l’avait jamais effleurée, mais maintenant qu’elle en savait davantage sur l’histoire de Jonathan, sur la famille qu’il avait eu la chance de connaître, et qu’elle avait rencontrer Maxime, de qui elle s’était sentie, l’espace d’un battement de cil, proche, cette interrogation émergeait dans son esprit. Avait-elle un père encore en vie ? Était-ce lui qui lui avait transmis ce désir de révolte ? Elle avait envie d’en savoir plus, de comprendre pourquoi elle se trouvait dans cette situation aujourd’hui, l’explication du pourquoi elle avait eu besoin de rencontrer Jonathan et de se battre à ses côtés.

La rage désormais avait pris possession d’elle. Elle comptait bien ne plus rester inefficace. Elle désirait vivre et se venger. Le gouvernement lui avait tout enlevé, alors elle souhaitait tout lui prendre à son tour. Elle comprenait à présent ce que ressentait Jonathan, ou même Camille. Ils n’avaient pas seulement soif de justice, ils avaient aussi soif de revanche. Bulle allait donc mettre tout en œuvre pour faire tomber l’état dans lequel elle se trouvait. Mais pour cela, encore fallait-il qu’elle quitte cette prison.

Alors que les jours défilaient sans qu’elle n’ait aucune notion du temps qui passe, un infirmier parut soudain, un jour, et fit basculer sa porte. C’était la première fois qu’elle en apercevait un, et aussi qu’elle se rendait compte qu’une ouverture se trouvait dans sa cellule. En effet, jusque-là, si elle avait été obligée de sortir pour être observée par les différents médecins que comportait ce lieu, elle était anesthésiée avant que quiconque ne pénètre dans sa chambre. De ce fait, elle n’avait que des souvenirs épars de personne s’occupant d’elle, si bien qu’elle avait cru, pendant un moment, qu’elle inventait tout, et qu’elle était en fait seule dans cette prison. Pour ce qui était de la porte, celle-ci fusionnait complètement avec le mur, ce qui la rendait invisible tant qu’elle n’était pas ouverte. Bulle avait bien tenté de fouiller tout l’espace avec ses mains, mais elle avait été incapable de dénicher la moindre porte. C’était la même chose avec ses plateaux-repas, qui surgissaient du sol sans que rien ne lui indique d’où ils provenaient.

L’infirmier avait environ son âge ou à peine quelques années de plus. Il venait certainement de sortir de l’école, là où étaient formés tous les hommes afin de devenir médecin ou travailler dans le domaine médical. Bulle savait que c’était l’un des rares endroits où pouvaient se retrouver ceux qui avaient le droit de sortir, dans leur lieu de formation ou ensuite d’emploi. Elle les enviait autrefois, elle qui connaissait les règles et serait limitée par celles-ci à travailler chez elle, sans jamais pouvoir quitter son appartement. Mais aujourd’hui, alors qu’elle avait eu un plus grand accès au savoir, au monde, elle n’était plus si envieuse de ces hommes qui avaient beaucoup de liberté par rapport aux femmes. En cet instant, elle était plus lucide qu’eux tous sur la situation, et elle trouvait cela d’autant plus injuste. Les femmes devaient rester à la maison pour enfanter pendant que les hommes eux pouvaient travailler, faire tourner le pays. Ce n’était pas normal. Ils prenaient autant de risque face au virus simplement parce qu’ils n’avaient pas à s’occuper de nourrissons. Et elle, tandis qu’elle fêtait tout juste ses dix-huit ans, devait porter la vie, alors que ce n’était pas ce qu’elle avait choisi. Bulle sentait que son destin lui échappait, et elle comptait bien le faire comprendre à ce garçon qui se tenait devant elle.

En vérité, alors qu’elle lui jetait un regard noir, le jeune homme se liquéfia sur place. Pendant une seconde, Bulle eut de la pitié pour lui. Il n’avait peut-être pas choisi de se rendre ici et maintenant, à s’occuper d’une adolescente fugueuse, peut-être même contaminée. Puis, elle prit conscience du pouvoir qu’elle avait sur lui. Elle savait des choses qu’il ignorait. Elle l’effrayait. Elle était bien plus libre qu’il ne serait jamais. Cela lui donna une force incroyable. Bien entendu, elle ne se sentait pas en mesure de se jeter sur lui et de s’enfuir, de prendre ses jambes à son coup. Elle était certaine que toute la prison était surveillée, et qu’elle n’irait pas bien loin sans un plan. Mais elle pouvait jouer des cartes qu’elle avait entre les mains pour en apprendre davantage, afin de construire son projet d’évasion.

— Je suppose que je ne suis pas infectée, dit-elle à haute voix, prenant l’intonation d’une question, bien que cela n’en soit pas vraiment une. Sinon, je serais déjà morte. Et vous auriez un masque pour vous protéger de moi.

L’infirmier déglutit. Son visage poupin, qui avait conservé les vestiges de l’enfance, s’empourpra. Avait-il seulement le droit de lui parler ? Bulle n’en était pas certaine. Mais l’inexpérience de son nouveau garde du corps était une bénédiction.

— Que m’a-t-on fait depuis que je suis là ? continua Bulle en observant l’infirmier. Je suppose qu’on ne m’a pas laissée dormir pendant tout ce temps. D’ailleurs, où sont mes compagnons ?

Bulle tenait à jouer la jeune fille amnésique. Autant faire croire à ses ennemis qu’elle ne se souvenait pas de la mort de Maxime, ou qu’ils s’étaient servis d’elle comme d’un cobaye. Autant les laisser penser qu’elle était inoffensive, afin de pouvoir frapper le moment venu. Bulle ne se savait pas aussi machiavélique, mais depuis qu’elle avait quitté sa demeure, elle se découvrait, et bien que cette nouvelle vision d’elle l’avait au début effrayée, aujourd’hui elle en était fière. Elle ne comptait plus se laisser marcher sur les pieds sans combattre et montrer les crocs. Elle était devenue une louve.

Le garçon tremblait. Il ne bougeait toujours pas, n’osant pas non plus parler. Soudain, quelque chose sonna à son poignet droit. Il portait une montre qui devait lui permettre de communiquer avec les autres membres de l’équipe de la prison. L’infirmier frissonnait tellement qu’il eut bien du mal à faire s’éteindre l’objet. Et il n’avait de cesse de jeter des regards en coin à Bulle, comme si elle craignait qu’elle ne se précipite sur lui. Alors, elle s’assit confortablement sur sa couchette, croisa les bras, et attendit. Quelque chose était en train de se passer et ce n’était pas prévu. Cela se devinait sur le visage du jeune homme, qui se mit à transpirer abondamment.

— Tu vas venir avec moi, finit-il par dire après avoir péniblement dégluti.

Ensuite, il posa une main sur sa hanche gauche, celle que ne voyait pas complètement l’adolescente puisqu’il était de biais. Portait-il une arme ? cela ne l’étonnerait pas, et c’était ce qu’il semblait vouloir aussi faire croire à la jeune fille. Elle ne tenait pas à le vérifier par elle-même. Pour le moment, elle devait patienter et rester tranquille. Elle se leva donc avec toute la grâce possible, et ses jambes flageolèrent. Pourtant, lorsque le garçon s’approcha d’elle, l’air un peu inquiet à l’idée qu’elle s’effondre, elle lui fit signe qu’elle pouvait se débrouiller toute seule. Même si elle voulait se montrer plus gentille, moins vengeresse qu’elle ne l’était en réalité, il était hors de question qu’elle paraisse diminuée devant ceux qui avaient osé s’en prendre à ses amis. Bulle gardait sa dignité. Elle s’appuya donc sur le mur et se mit à avancer.

L’infirmier la précéda dans le couloir, qui était tout aussi étincelant que la cellule qu’ils venaient de quitter. Soit l’endroit était nettoyé et désinfecté de fond en comble en permanence, soit il ne servait jamais, soit encore elle ne se trouvait pas dans une prison, mais dans un hôpital. Tout ce blanc lui donnait mal à la tête. Il n’y avait aucune fenêtre nulle part, si bien qu’elle ne pouvait pas déterminer ni l’heure ni l’endroit où elle se trouvait. Elle en avait assez de cette ignorance.

— Nous sommes où ? interrogea-t-elle l’infirmier. Quel est ce lieu ?

Il serra les dents. Il n’avait pas le droit de lui répondre. Cela en devenait frustrant.

Il s’arrêta ensuite devant une porte qui bascula toute seule, comme si la pièce savait qu’ils arrivaient. Le garçon se posta à l’entrée, et Bulle jeta un coup d’œil à l’intérieur. Ce dernier était bien différent de sa cellule. Il ne comportait pas de couchette. Une unique table et deux chaises, qui se faisaient face, meublaient l’endroit. Et sur l’assise qui se trouvait dans l’angle de mire de la jeune fille se tenait une femme.

Prudemment, Bulle pénétra dans la pièce. Elle n’avait encore jamais vu de femme à l’extérieur, cette place était révolue aux hommes. Elle n’avait croisé que Camille, mais Camille était unique en son genre, non femme et non homme, mais un mélange des deux, un humain qui ne rentrait dans aucune case. Et c’était le chef des rebelles. Ici, la femme qui attendait Bulle était âgée d’une quarantaine d’années, les cheveux blonds noués en un savant chignon, la peau maquillée, des yeux tranchants, un visage anguleux, et des ongles manucurés. Ce fut d’ailleurs sur ce détail que s’arrêta Bulle. Elle n’avait jamais mis de vernis à ongles, tout comme sa mère ou sa petite sœur. Ce genre de futilités ne se trouvaient plus en stock, et il était impossible d’en dénicher. Et même si elle en avait un jour cherché, Bulle ignorait ce qu’elle en aurait fait. Pourquoi se peindre les ongles si personne ne les voyait jamais ? Pourquoi se faire belle alors qu’on vivait en permanence avec les mêmes personnes ? Bulle ne comprenait pas l’intérêt du maquillage, et si sa mère se colorait les lèvres et les joues, c’était surtout pour se donner bonne mine face à ses élèves. Le reste n’avait plus d’importance lorsqu’on était confiné à jamais.

La femme portait aussi un tailleur blanc. Bulle se fit la remarque qu’elle ne devait pas avoir d’enfants, car une telle tenue immaculée ne demeurait jamais ainsi lorsqu’on devait changer une couche, donner un biberon, ou autre chose. Mais que faisait-elle bien là, dans cette prison ? Et que lui voulait-elle ?

Les questions de Bulle tournaient surtout autour de l’incongruité de la présence de l’inconnue dans ce lieu. Une femme devait rester chez elle, elle devait enfanter et perpétuer l’espèce. Seuls les emplois qui se faisaient depuis la maison lui étaient accordés, elle ne devait donc jamais avoir à quitter son refuge, sauf en cas de problème. Or, cette femme-ci était là, dans cet endroit étrange, et elle ne semblait pas inquiète de pouvoir attraper le virus et le transmettre à ses proches. Tout cela paraissait impossible, et avant de pénétrer dans la pièce, Bulle s’assura qu’elle n’était pas en train de rêver, ou qu’elle n’était pas face à un piège.

La femme lui fit un geste pour qu’elle s’asseye, et Bulle lui obéit, prenant donc le dernier siège resta.

— Bonjour, Bulle, dit l’inconnue d’une voix douce, comme si elle s’adressait à un enfant en bas-âge ou à un animal récalcitrant. C’est un plaisir de faire enfin ta rencontre. J’ai beaucoup entendu parler de toi, le sais-tu ?

La jeune fille leva un sourcil, étonnée, avant d’attaquer :

— Qui êtes-vous ? Quel est ce lieu ? Où suis-je et pourquoi suis-je ici ?

— Ce sont des questions légitimes que tu me poses et je voudrais répondre à toutes celles-ci, mais je ne le peux pas. Je vais donc commencer par le plus simple. Ta grand-mère est une femme surprenante, avec beaucoup de connaissance. Elle n’était pas la première à refuser de quitter sa demeure lorsqu’il a été nécessaire de regrouper les survivants à l’épidémie. Elle s’est rebellée, et heureusement que ton grand-père était là pour la raisonner, car sinon, ta mère, tout comme toi, ne serait pas de ce monde aujourd’hui.

Bulle haussa un nouveau sourcil. Que venait faire Mamou dans cette histoire ? Pourquoi lui parler d’elle ? Et pourquoi Mamou ne lui avait-elle jamais avoué qu’elle s’était rebellée contre le gouvernement, à l’époque. Bulle se renfrogna. Sa grand-mère lui avait caché tellement de choses qu’elle se demandait si elle savait vraiment qui elle était, ou si elle était elle aussi une inconnue, quelqu’un qui avait joué un rôle pendant toutes ces années.

— Quand elle a refusé d’avoir un autre enfant, cela nous a affectés, bien entendu, continua la femme. Vois-tu, notre mission, en tant que femme, est de procréer, de donner la vie afin de repeupler la Terre. Le virus a tué tellement des nôtres que nous devons penser à la survie de notre espèce. Mais malgré nos injonctions, nos conseils, nos ordres, ta grand-mère a tenu bon et aucun autre enfant n’est sorti de son ventre. Cela nous a grandement perturbés, car on savait qu’elle n’était pas malade, et que ton grand-père se portait lui aussi comme un charme. Et ils étaient encore fous amoureux l’un de l’autre, donc en état d’avoir d’autres progénitures. On s’est demandé si ta grand-mère n’avait pas accès à la contraception, mais on n’a jamais trouvé comment elle pouvait se la procurer. Tu le sais, n’est-ce pas, que la contraception est interdite ?

La femme lui jeta un coup d’œil et Bulle lui répondit par un regard noir. Bien entendu, elle connaissait cette loi, tout comme elle n’ignorait pas qu’elle n’avait pas le droit d’avorter, sauf si le fœtus était lourdement handicapé. C’était l’une des règles qui se trouvaient inscrites dans la Constitution du pays.

— On a fait surveiller ta grand-mère pendant des années, continua la femme d’un ton neutre, comme si tout ce qu’elle racontait était parfaitement normal. Ta mère est bien plus perméable au système, bien plus loyale à nos valeurs, à notre pays. Mais ta grand-mère était douée, car il a été compliqué de la coincer. Et voilà que tu marches sur ses pas, alors que tu avais tout pour être une citoyenne exemplaire.

Bulle ne savait pas si elle devait être fière ou non de cette comparaison. Elle avait encore du mal à accepter le fait que sa grand-mère lui ait caché autant de choses. Dire qu’elle lui avait avoué le moindre de ses petits secrets, et que Mamou n’avait pas fait la même chose de son côté suffisait à la blesser. Bulle se sentait presque trahie par celle pour qui elle aurait donné sa vie sans hésitation. Toutefois, elle s’était désormais affranchie de son souvenir, et elle ne devait pas oublier que c’était sa propre voie qu’elle traçait à présent.

— Qu’attendez-vous de moi ? demanda enfin la jeune fille d’une voix qu’elle estimait être ferme, malgré la peur qui courait dans ses veines.

— C’est assez simple, répondit la femme de son ton toujours aussi doux. Je désire que tu nous livres les rebelles. Que tu nous dises tout ce que tu sais sur eux et sur l’endroit où ils se trouvent.

— Vous voulez que je trahisse ceux qui m’ont sauvé la vie, résuma Bulle en s’enfonçant dans son siège. Pour quoi faire ? Pour que vous les assassiniez comme vous l’avez fait avec Maxime ?

Le visage de la femme se contracta, signe qu’elle était contrariée. Pourtant, elle reprit rapidement une allure plus neutre, moins agressive envers la jeune fille.

— Les rebelles sont dangereux, lui dit-elle alors. Ils font courir la rumeur que la pandémie ne tue plus, qu’on peut se promener dans nos rues sans tomber malade. Nous savons bien que c’est faux. Le virus n’a pas muté, pas encore, et ne plus avoir de protection contre lui, ne plus respecter le confinement serait terrible pour notre population.

— Et si c’était plutôt le confinement qui était mortel ? l’interrogea Bulle en se redressant. Et si le fait de rester enfermés à perpétuité, comme des prisonniers, nous tuait à petit feu ?

La femme éclata d’un petit rire ironique, qui glaça le dos de Bulle.

— Je n’ai rien entendu de plus stupide depuis les anti-masques, qui ont tous été exterminés par la maladie avant même que le vaccin ne soit mis sur le marché. Notre société fonctionne comme elle est, Bulle, et tout le monde s’y retrouve très bien, depuis plus de soixante ans.

Bulle se mordit l’intérieur de la joue pour ne pas répliquer vertement que si tout se déroulait vraiment sans encombre, alors les rebelles n’existeraient pas, et la justice n’aurait pas besoin de faire condamner à mort des criminels. Et elle-même n’aurait pas eu la nécessité d’avorter. Et tout cela, c’était évidemment sans mentionner ce qui était arrivé aux migrants, comme la famille de Jonathan.

— Écoute-moi bien, reprit la femme d’un ton beaucoup plus dur, sans appel. Je vais te faire une offre, et j’espère que tu seras assez censée pour l’accepter sans tergiverser. Tu vas dénoncer tes amis, me les livrer, et je te pardonne tout. Tu auras le droit d’accéder au travail que tu souhaites, et même de vivre seule si tu veux, sans ta mère sur le dos. Je m’engage à te fournir une nouvelle habitation. Tu n’as, en échange, qu’à me dire où sont les rebelles. À l’inverse, tu seras exécutée pour trahison envers l’État qui t’a nourri, logé et protégé pendant toutes ces années.

Bulle se redressa encore, et planta ses yeux noisette dans ceux de la femme. Un sourire étirait ses fines lèvres, et l’inconnue se décala, mettant de la distance entre elles deux.

— J’accepte le marché, à une condition. Je veux tout savoir sur le virus, sur le vaccin, et sur les malades qui sont encore admis dans nos hôpitaux.

La femme déglutit, avant d’interpeller l’infirmier qui gardait toujours la porte.

— Je vais me renseigner auprès du gouvernement. Je doute qu’il accepte, mais on ne sait jamais.

Le sourire de Bulle s’élargit alors qu’elle se cala confortablement sur sa chaise. Elle avait désormais l’avantage. Non seulement elle gagnait de précieuses heures, mais en plus, elle avait maintenant la certitude qu’ils ignoraient tout des rebelles. Elle pouvait aisément leur mentir et accéder aux informations qu’elle souhaitait avant qu’ils ne se rendent compte qu’elle les menait en bateau. Et cela laissait tout le temps à Camille de venir les délivrer, en espérant que Jonathan soit toujours en vie et que le chef de la révolte ne l’oublie pas en cours de route. À présent, Bulle n’avait plus qu’à attendre que son sort soit statué, mais elle avait au moins fait son possible pour ne pas trahir les siens et pour utiliser à son profit les minutes qu’elle passait dans cette prison. ».

Merci de m’avoir lue. N’hésitez pas à donner votre avis sur cette histoire. Rendez-vous la semaine prochaine pour la suite.

Et vous ?

Est-ce que le confinement a été inspirant pour vous ?.

Avez-vous envie de lire des histoires sur cette période ?

Ou au contraire, désirez-vous l’oublier le plus tôt possible ?

Bon jeudi à tous 🙂

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